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L’étrange histoire d’une garde compliquée à l’Hôpital Saint-Nicolas

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L’étrange histoire d’une garde compliquée à l’Hôpital Saint-Nicolas.

On ne m’avait jamais prévenu que la médecine serait aussi différente dans la vie réelle. J’ai passé la majeure  partie de mes études sur un banc de la faculté et je peux vous assurer que les situations ne se présentaient pas toujours comme on les explique dans les grands manuels.  Comme tout finissant en médecine, je croyais que les choses seraient aussi simple et que j’allais être un de ces toubibs qui recevraient les grands cas tous les vingt-quatre heures. Je m’étais trompé, la majeure partie du temps, c’étaient des cas véniels qui vous parvenaient. Et l’urgence, quand ce n’était pas le grand jour des accidents, était à moitié vide.  Les gens n’aimaient pas aller à l’hôpital parce-que premièrement, ils n’avaient pas d’argent et deuxièmement ça les effrayait. Pour finir, ils ne se faisaient soigner que lorsqu’ils atteignaient vraiment le stade de grabataires impotents. Les gardes dans cet hôpital m’ont beaucoup appris sur les gens. Tant que je les soignais, tant que je me rapprochais d’eux et comprenais leurs modes de pensée et ce qu’il y avait dans leur folklore. Et Dieu seul sait combien ils avaient du folklore à revendre. Je me voyais empêtré malgré moi dans leurs histoires surnaturelles, dans leurs légendes urbaines dont la plupart visait l’hôpital dans lequel je pratiquais. Je ne croyais pas en ces choses-là, je me disais toujours qu’il s’agissait de fantasmes de paysans en mal de tabac et de clairin. Le résultat de leurs éloquences intempestives lorsque leurs langues se déliaient. Tout n’était que fable pour moi, le jeune scientifique tout frais sorti derrière les pupitres de l’école de médecine.  Je m’appelle Edvar Décius, je suis un résident en service social à l’Hôpital Saint-Nicolas de Saint-Marc et je ne crois pas aux fantômes. Mais je vais vous raconter l’étrange histoire qui m’est arrivée un soir de garde dans les couloirs de cet hôpital.

La nuit à l’hôpital ce jour-là était différente des autres nuits. J’etais arrivé de très tôt au service, j’aime être avant l’heure sur mon lieu de travail, cela me permettait de connecter doucement mes esprits sur ce que j’allais faire. Et j’en profitais aussi pour lire des manuels et apprendre un peu plus sur ce que je faisais. Je pouvais comprendre comment la médecine pouvait être un métier égoïste, quand on s’y attelle vraiment on n’a pas le temps pour les autres futilités de la vie. Oui, je les appelais des futilités, car dès qu’on a connu la médecine de loin ou de près, toutes les autres choses s’amoindrissent. Je n’avais pas le temps pour les émotions, pour les sentiments, pour les sorties entre amis, je me concentrais sur mon travail et sur mes objectifs. Je voulais passer le concours de passage dans le système santé des États-Unis. Cela me demandait d’énormes sacrifices.

J’avais apporté mon bidon de café noir, ce breuvage dont je n’arrivais toujours pas à m’en passer. Il avait la vertu de me tenir en haleine et de me garder constamment éveillé, c’était bien sûr ses propriétés naturelles mais avec moi, ces caractères-là se renforçait et je sentais mon cerveau boosté. Deux heures de l’après-midi, je patientais dans la bibliothèque, attendant mon heure de gloire, l’heure où j’aurai à honorer mon serment d’Hippocrate, musique d’opéra à fond dans les écouteurs, j’espérais trouver les lits remplis et le casier à dossier surchargé. Je voulais d’une nuit de militaire où je n’aurai aucune pause car je m’étais préparé pour cela. En médecine, on appelait cela, la flamme du débutant, le mien était bien plus qu’une flamme car cela aurait dû déjà être éteint depuis bien longtemps, c’était de préférence un boucan de zèle. J’en voulais toujours plus car je croyais dur comme pierre que l’expertise vient à force de pratiquer.

Vers les cinq heures de l’après-midi, l’infirmière Madeline vint me trouver pour me dire que ce soir, elle ne resterait pas veiller tard avec moi. Mon cœur rata un battement, j’aimais tellement travailler avec cette jeune infirmière, elle avait une vivacité d’esprit impressionnante et elle ne se cantonnait pas seulement à ce qu’on lui avait appris à l’école d’infirmière. Elle avait repoussé plus loin ses limites. Je l’adorais pour cela, car un scientifique n’avait pas le droit de se donner des limites au contraire, il doit les lever et affronter l’inconnu, en apprendre afin d’apprendre à son tour aux autres. Et puis, il n’y avait pas seulement ça, il y avait son intonation lorsqu’elle me parlait français. Comme si elle vous caressait en vous susurrant à l’oreille. J’avais deviné avec ce rien de petit détail qu’elle avait été formée par la congrégation des bonnes sœurs. Ces filles étaient passées maitresses dans l’art de chuchoter avec tant de sensualité. Alors, je sentis vraiment que ma nuitée allait être différente. Peu importe, on allait voir ce que ça donnait quand on a que soi face à des lits rongés de corps aux petites maladies.

À mesure que passait les heures, à mesure que se vidait la salle d’urgence, tant en patient qu’en personnel de santé. Cette nuit, prometteuse de bon cas, prit une autre tournure, elle partit pour être morbide et vide de sens. Onze heures, il y a eu des personnes qui se sont présentées, brûlure au premier degré, des plaies ouvertes vite refermées, une hypertension vite stabilisée, toutes, des choses que je savais déjà faire. Pas une complication où il me fallait poser un drain à toute vitesse. J’etais en train de me lamenter sur mon cas sans comprendre que j’avais dans la pièce qu’un seul patient, couché sur le flanc, me tournant le dos. Il était anorexique et semblait être à l’article de la mort. Miss Madeline avait longtemps vidé les lieux et les autres infirmières était déjà partie prendre leurs pauses sommeils. Je n’avais pas d’autres choix que de les suivre mais il fallait avant m’enquérir de ce patient que je n’avais pas remarqué jusqu’ici. Onze heure et demi, le patient s’avérait être un quinquagénaire avec un cancer de la prostate, un cathéter lui avait été posé au niveau de ses parties génitales afin de collecter ses urines. Il respirait péniblement, je vérifiais quand est-ce qu’il a été admis ici mais il n’y avait pas de date d’admission dans son dossier. Je fronçai les sourcils, quel médecin a pu faire cette erreur que même les débutants n’oseraient faire ? Je fouillais son dossier à la recherche d’autres anomalies lorsque le patient se releva brusquement et m’empoigna le bras férocement.

Pour quelqu’un d’aussi maigre, il avait de la poigne, je titubai mais son empoignement aussi forte qu’une gueule de crocodile me servit de point de gravité. Il me regardait avec des yeux globuleux, une exophtalmie peut-être et dans une vision horrifique, je le voyais qui essayait de remuer ses lèvres. Mon cœur battit la chamade, je sentis mes sphincters urinaires me menacer de lâcher. « Bordel, mais c’était moi le médecin, pourquoi me laissais-je flanquer cette trouille ? ». J’essayais de reprendre contenance et intima au patient de me lâcher mais il continua de me fixer avec des yeux globuleux et ses contractions des lèvres s’intensifièrent.

  • FU… YEZ parvient-il à me dire. FUYEZ !

Puis, il me relâcha brusquement, je tombai à la renverse et ma tête alla cogner le bras d’un autre lit. Un petit peu sonné, je me relevai péniblement lorsque les lumières de la pièce tremblotèrent et s’éteignirent d’un coup. Je fus plongé dans une obscurité palpable, tellement que je ne voyais pas mes mains. La puissance de mes vitamines A accumulées ne me furent d’aucun recours. J’entendais seulement mon cœur battre tandis que les chiens commençaient à aboyer. Ils aboyaient comme s’ils avaient la voix rouillée et ce type d’aboiement étaient très connus de nous pour être une sorte d’alarme. Les animaux pressentent toujours le danger lorsqu’il y en a un. Je me souviens subitement de mes contes d’enfant, les chiens qui aboyaient avec une voix rouillée prévenaient un convoyeur de zombis. « Ohh Putain ». J’essayais de progresser afin de laisser cet endroit au plus vite. Ses mains essayaient de s’agripper aux murs car les murs menaient tant bien que mal vers la sortie. D’ailleurs je connaissais la pièce par cœur, je savais où toucher, où aller pour me sortir de ce pétrin. Mais à peine que je déposai mes mains sur le mur que je sentis celui s’effriter sous mes doigts, je palpais un vide qui s’était ouvert devant moi, je sentais tout le décor de la pièce changer autour de moi, je ne le voyais pas, je le sentais. Ma respiration saccadée se mêla au concert des chiens dont les aboiements étaient devenus de plus en plus forts. La salle que j’aimais était en train de se transformer en ce moment en mon prison de cauchemar. Jamais je n’aurais pu faire de tels cauchemars en temps normal. Mon esprit n’était pas aussi productif et taré à ce point.

Les lumières telles qu’elles étaient éteintes apparurent subitement. Je battis des paupières et essaya de m’accoutumer à la lumière bienfaitrice. Jusqu’ici, j’avais toujours le contrôle de mes sphincters. Je me précipitai vers la sortie lorsque je remarquai qu’il n’y avait plus personne dans la pièce. Le quinquagénaire exophtalmique avait disparu. Je n’en croyais pas mes yeux, je me pinçais fortement la peau afin de me réveiller si c’était un cauchemar mais c’en était pas un. J’allais me précipiter vers la sortie, lorsque j’entendis un hurlement lugubre qui me vrilla les tympans. Les lumières au néon éclatèrent en mille morceaux et je me retrouvai plongé dans le noir total. Encore une fois.

Cette fois-ci, je pissai d’un trait sur ma cuisse et le liquide chaud qui en découlait m’était d’un réconfort total, c’était mon seul ami du moment, il prouvait que j’existais, qu’on ne m’avait pas encore avalé tout cru. Mes pensées tournoyaient autour de multiples avertissements : « Le soir, cet hôpital est dangereux », «  fò w gen granmoun sou ou, pou w fè yon nwit isit la »[1], « gwo midi, yo manje moun anba a »[2]. C’était un concert cacophonique de présomptions, de remontrances. Aujourd’hui, je croisais, nez contre nez, avec l’os de ma grand-mère et on m’avait prévenu comme cet os était dur. Le hurlement s’éteignit d’un coup, j’eus le courage de me précipiter vers la sortie, le froc mouillé, mais c’était comme si je courais le long d’un tunnel illusoire, tant que je courais tant l’issue reculait, en fin de compte, j’étais à bout de souffle. Cette chose jouait avec moi, elle voulait me rendre fou.

Tout cela n’était pas vrai, ces choses-là n’existaient pas. Je ne me faisais que rouler par une personne malintentionnée et très astucieuse. Il fallait lui faire face et la démasquer une bonne fois pour toute. Je pris mon courage à deux mains puis dit : « Qui que vous soyez, sortez, votre plaisanterie est d’un très mauvais gout, ici ce n’est pas votre terrain de jeu, soit vous vous faites soigner soit vous foutez le… le… le… »

Je ne parvins pas à terminer ma phrase. En face de moi, quelque chose qui ne se passait que dans les films d’horreur. Une ombre se dressait devant moi, contre le mur et je sentais tout à coup tous les poils de mon corps s’hérisser. La chose me fixait, je pouvais sentir la chaleur de son regard, puis subitement, l’ombre glissait doucereusement sur le mur, macabre, lugubre, horrifique, maléfique, satanique. Je hurlai. Je hurlai. Je hurlai encore. Je pissai de nouveau comme un nouveau-né, mes jambes flageolantes ne pouvaient plus me retenir. L’ombre fonça sur moi et je voyais déjà ma vie prendre fin mystérieusement, mes jambes flanchèrent, je vomis. Puis tout s’arrêta dans un silence sépulcral. La lumière revint encore, plus vivace, je tremblais encore, dans ma mare de vomi et de pisse. Il n’y avait pas d’éclat de verre nulle part, tout n’a été qu’une intelligente invention de mon imagination. Le souffle court, je me relevai en position assise, puis petit à petit, je me réadaptais à la position debout. J’étais seul dans la pièce, encore une fois. Minuit et demi, je n’entendais plus l’aboiement des chiens. Il ne restait que le silence et mon imagination qui m’avait joué des tours. Putain, je me suis fait peur tout seul, heureusement qu’il n’y avait pas d’autres personnes présentes. J’allais reprendre mes affaires, lorsque je sentais quelqu’un déposer la main sur mon épaule : « Dòk, pa gad dèyè »[3]. « Pa gad dèyè m di w »[4].

L’avertissement me cingla comme un fouet et je sentais mes jambes me trahir à nouveau, si ma vessie n’était pas aussi vidée, je vous jure que je l’aurais encore fait sur moi. Subitement, ma curiosité intellectuelle prit le dessus par ce seul avertissement, quel truc qu’on ne voulait pas que je vois ? Et qui était celui qui me donnait de l’ordre dans mon service ? Quel truc manigançait-on à cette heure indue et qui la manigançait ? Ignorant l’avertissement cinglant, je me retournais d’un bloc. Et…

Il n’y avait personne dans mon dos, mais trois individus se tenait dans l’entrée du service, ils étaient de haute taille, noir comme la nuit, avec le visage enduit d’une graisse, sur leurs os serpentaient d’énormes muscles qui semblaient être faits en acier. Leurs simiesques finissaient de parachever leurs anatomies de monstres des enfers, un faciès hideux, sale et maléfique. L’un d’entre eux jetait une tunique blanche sur le dos du plus petit d’entre eux que je reconnus comme le patient quinquagénaire. On le ligota avec une corde en lin à la poitrine et au niveau de la hanche. L’un d’eux se tourna vers moi et à la place des yeux, je vis un vide semblable à ceux des crânes de mort. Ma bouche se remplit d’eau, tout mon corps devenait lourd, tandis que je sentais mes yeux se révulser, je n’avais plus le contrôle de mes paupières. Je tombais à la renverse essayant de hurler.

Le lendemain on me retrouva raide dans la salle d’urgence, avec une fièvre à quarante degrés. Au cours de la journée, on annonça la mort d’un certain Eliotte Boursiquot, homme âgé de cinquante ans, s’étant présenté à l’urgence pour un motif de « Kout Poud »[5].

Lire également>>L’incroyable histoire du meurtre à Thomassin


[1] Il faut que tu sois brave si tu veux passer une nuit entière là-bas.

[2] On tue les gens en plein jour dans cet endroit

[3] Ne te retourne pas

[4] Ne te retourne pas, bougre imbécile

[5] Maléfice couramment pratiqué dans la religion vaudouesque et qui consiste à mettre dans les habits de la personne visée une poudre faite le plus souvent d’ossement de cadavre pilé et d’autres ingrédients toxiques. Les symptômes apparaissent dans les heures qui suivent.

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7 commentaires
  1. Leysha dit

    J’ai beaucoup ri! Bravo!😂

  2. Marie-Anne dit

    Ça me plaît😘😘,waouh quelle histoire💃

  3. Enndjie Varela Faveur dit

    C’est à la fois comique et flippant. J’ai moi même flipper en lisant😂😂.
    J’ai grave aimé

  4. […] Lire également>>L’étrange histoire d’une garde compliquée à l’Hôpital Saint-Nicolas […]

  5. David Siméon dit

    Ce qui semble m’interesser dans cette histoire c’est que l’auteur en tant que principal personnage dans ce drame maléfique en même temps victime avait la même conception que moi que je garde encore jusqu’ici.J’ai appris et vraiment ça va me plonger dans de profondes méditations.Il l’a vécu et mois je suis prévenu.
    Je vous en remercie je vous avoue que vous avez rendu le drame intéressant avec beaucoup d’images.Vous êtes un très bon narrateur!

  6. Mardelle Desir dit

    J’ai vécu ton aventure à travers le texte! superbement bien Écrit 👌

  7. Angelo dit

    Belle plume! Je commence sérieusement à prendre goût à te lire. Tu as su nous raconter un peu de l’imaginaire haïtien avec classe. Bonne continuation !

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