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Les lambeaux du paradis

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LES LAMBEAUX DU PARADIS

Et quand l’âme s’envenimera des blessures connues au cours des ans, les peurs dont on ne défie en devenant grand, on vivra sous le gui, terrorisé, notre âme d’enfant.

Un matin, je suis partie me faire aimer dans une robe de princesse immaculée et brodée de pierres blanches. J’étais tellement belle et heureuse que mon histoire n’égalait en rien les contes de fée. Non! Bien au contraire, au royaume de Disneyland, toutes les princesses étaient sans doute jalouses que je puisse vivre réellement leurs histoires qu’elles mettaient des jours à tourner en studio pour faire rêver toutes les petites filles. Ce jour-là pourtant, je n’ai pas épousé un prince, ma flemme jumelle n’en avait rien d’un prince mais bien d’un Viking qui à mes yeux défieraient terre et mer, et grimperait le Kilimandjaro les pieds nus s’il le fallait pour m’offrir toute son âme dans une coupe de feu au Valhalla. C’est ainsi que je nous voyais, une princesse en robe blanche et un Viking fort à l’âme fragile, doux et grand. Je voulais une belle histoire, je l’avais comme dans un rêve.

J’ai grimpé des montagnes de russes et la descente… je n’y croyais pas que j’y redescendrais à vrai dire L’amour est parfois cette drogue dont l’effet n’est pas toujours ce à quoi on s’y attend. Tout était tellement parfait qu’on avait gravé chacun à notre poignet un Ansuz qui se dressait au milieu du signe de l’infinity. On se ressemblait sur tous les points et il n’a jamais été question de : les contraires font la paire, sauf que chacun de nous, se manifestait de manières différentes. Si je n’étais qu’une brise, lui n’était que la tempête imprévisible qui arrivait et qui se déchainait sans crier gare, si je n’étais qu’un murmure, lui n’était qu’une voix rugissante qui terrorisait le calme de la nuit. C’était sans doute la plus belle des métaphores pour nous désigner sur toutes nos facettes avant que la réalité répulsive dont je ne m’y attendais pas, m’attrape par les chevilles et me jette au sol. Aussi haut où j’étais perchée sur mon petit nuage de bonheur, aussi fort que je suis tombée. J’étais devenue la risée d’un homme qui avait passé tout le début de notre relation à me leurrer.

Au début de ce krach sentimental, tout et rien l’énervait, lui qui était si patient au début, qui prenait en compte tout ce qu’il y avait rapport à nous, lui qui riait de mes blagues, il avait horriblement changé que même mes anecdotes le dégoûtaient. Je mettais cela sur le fait que j’allais avoir deux enfants simultanément, sachant que pour un homme il est toujours difficile de rejoindre les deux bouts entre travail et une femme porteuse d’un bébé. Dans mon cas, c’était pire ! Une femme et deux nourrissons lui serait un coup de stress énorme, cela lui demanderait à tripler d’efforts et j’essayais de le comprendre. Pourtant, il n’était pas seul puisque j’étais là, je ne comptais pas le laisser être le seul responsable à prendre soin de nous.  Puis vint la phase où les gifles magistrales s’aplatissaient sur mon visage. Je ne valais pas mieux qu’un punching-ball sur lequel on défoulait toutes ses frustrations. Je suis même rentrée aux urgences un soir de Noël avec des côtes fêlées et un bras cassé, et j’en suis ressortie avec toute la terreur du monde, me demandant où et à quel moment j’avais foiré notre belle histoire. Le désir de préserver ce conte de fées aux yeux de tous, m’avait cloué le bec à un point que même ma famille ignorait qu’au lieu de me faire aimer, je me faisais briser et que dans ce processus de mal aimé, mon corps, mon cœur, mon âme subissaient les sévices d’un amour disparu. Le monde ne va pas mieux pourtant! Nous étions beaucoup à en subir le même sort, surtout l’on ne savait plus du tout comment l’amour s’était-il transformé en cette violence rouge qui menait tous ces hommes à commettre ces féminicides! J’avais peur, horriblement et comme une épave, j’attendais le moment fatidique où il porterait son dernier coup, celui qui viendrait à m’effacer de ce monde.

La crise pandémique n’arrangeait rien à la situation, si lui continuait de travailler, les enfants et moi restions à la maison à cause de la paralysie de certaines activités. Ce moment avait fait lumière sur notre relation à leurs yeux, ils avaient compris que leur père me frappait comme bon lui semblait. Au début je faisais tout pour ne pas qu’ils remarquent, ils passaient la plupart de leur temps chez leur marraine après l’école, et leurs week-ends chez leur grand-mère. Ils ne rentraient que pour dormir, aujourd’hui il n’y avait plus d’autres issues. J’aurais beau fait le nécessaire pour qu’ils se sentent bien ou pour oublier les images de toutes ces violences à mon égard, la terreur que je lisais sur leur visage m’effrayait moi-même. Une tension régnait depuis dans la maison, je n’osais pas regarder mes jumelles de cinq ans en face, Lara et Lana. J’avais honte de leur infliger toute mon incapacité à répliquer ou à me préserver face aux brutalités de leur père, je me dis qu’elles devraient s’imaginer que si leur père venait à s’en prendre aussi à elles, je ne serais pas à la hauteur pour les défendre, pour me dresser en ce mur de protection contre lui pour elles.

Cette situation ne durait que depuis quatre ans et ce matin-là en me réveillant, j’avais décidé de reprendre là où tout s’était arrêté. Au trente sixième jour sans qu’aucune des activités ne reprennent, je me suis mise à faire le nettoyage, à assainir tous les coins et recoins de la maison. Je prenais soin des filles, je les avais coiffées et leur avais mis leurs plus jolies robes. J’avais préparé tous les plats préférés de Ryan, ses pâtisseries dont il raffolait et j’avais décidé de jouer carte sur table afin qu’on ose parler de tout ce qui nous a brisé, de tout ce qui nous a séparé, de tout ce qu’on n’a pas su dire, ces non-dits qui nous saignaient de l’intérieur et si tout se passerait bien, je m’étais promise de lui faire l’amour comme à mes dix-sept ans. De porter ces belles lingeries que je gardais enfermées dans le tiroir de la commode et que je n’osais plus porter. Je m’étais promise de lui faire l’un de ces strip-tease V.I.P sur des lumières tamisées tout en buvant un bon verre de cognac au gingembre. Je voulais jouer ma toute dernière carte avec ces gâteries qui jadis faisaient de nous ces belles âmes que nous étions. Si malgré cela, j’échouais, j’avais juré de partir avec mes enfants et qu’il n’entendrait plus jamais parler de nous. A cet effet, j’avais aussi mis de côté une valise contenant le strict nécessaire.

Pour couronner le tout, j’avais ressorti les décorations de Noël au salon mais sans le sapin, l’étoile polaire, les anges, les chaussettes, le père noël, les guirlandes rouges et vertes, les couronnes le tout suspendu aux branches de ce gui artificiel teint en blanc et je fis jouer de la musique. J’avais rangé le salon dans un décor qui me rappelait mes fêtes de fin d’année aux urgences survenues trois ans de cela. Les filles n’avaient pas encore atteint l’âge de comprendre ce qui était survenu ce jour-là quoique depuis aucun incident majeur n’avait surgi, je continuais toujours à subir ses violences verbales et quelques coups dont je devrais à tout prix faire taire. Lara et Lana étaient ravies, je les regardais m’aider comme elles le pouvaient. Je leur promettais que tout irait bien à partir d’aujourd’hui mais n’en étais plus sûre la seconde d’après. On avait finalement terminé. Je portais une robe soirée rouge et des talons compensés de la même couleur, je m’étais légèrement maquillée et pour une fois depuis quelques temps je me suis rendue compte à quel point j’étais toujours belle, que j’avais peut-être maigri, que sur ma peau se traçaient des hématomes, que des cernes se dessinaient sous mes paupières fatiguées, que j’avais quelques cheveux blancs, mais je restais toujours une très belle femme.

L’heure avançait et Ryan ne rentrait toujours pas. Je jouais avec les filles, on chantait, dansait pour tuer le temps d’attente et à un moment, je décidai de passer à table avec elles et de les faire manger. J’aurais voulu les raconter toutes ces histoires de princesse auxquelles j’y croyais quand j’étais petite, mais en y réfléchissant, ce serait les bercer d’une illusion dont la réalité pourrait être dure, triste et tellement désarçonnante. Je les regardais manger en lançant de furtifs coups d’œil à l’horloge accrochée au mur, puis tout à coup Lara me demanda tristement :

  • Maman, pourquoi papa te frappe ?

Que répondre à son âme d’ange, la dure réalité ? Leur dire que leur père pouvait devenir le grand méchant loup du petit chaperon Rouge ? Je croyais trouver la métaphore exacte pour leur expliquer. Soudain la porte s’ouvrit. Ryan rentra et s’arrêta un instant en reluquant toute la maison puis attarda son regard d’abord sur les filles puis sur moi. Je ne saurais déchiffrer l’expression qui s’y cachait. Mais il avait dit, sans même un bonsoir :

  • Comme ça vous faites la fête sans m’y avoir invité ?

Il embrassa les filles tour à tour qui lui répondirent

  • C’était une surpriiiise !

Il me regarda et ordonna aux filles d’aller se mettre au lit. Lorsqu’elles eurent quitté la pièce, il devint indifférent et me lança tout en me toisant :

  • Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi Aurélie ?

J’avais envie de lui crier que c’était à moi de lui poser cette question, que j’en avais marre d’être traitée comme une merde alors que tout ce que j’ai fait de ma vie c’était de l’aimer au prix d’une violence non méritée, que je n’avais pas réussi à le détester malgré toute l’humiliation qu’il m’a infligée et ce soir, je n’espérais qu’une chose, c’était de retrouver mon viking que j’ai éperdument aimé. Pourtant, je n’avais réussi qu’à baisser les yeux. Je sursautai quand il se mit à crier. Me reprochant de faire des dépenses inutiles en pleine Covid-19 pour satisfaire des désirs vils, des folies passagères et que je devrais grandir un peu. Ensuite il m’a lâchée ces propos telle une évidence:

  • Finalement, tu as cru que mon monde ne tournerait qu’autour de toi, c’est ça ? 
  • Tu as raison, comment ai-je pu avoir été aussi bête ? Pourquoi n’avais-je jamais pensé qu’un canard se prendrait pour un paon si on lui ajoutait des plumes ?

Sans réfléchir il prit une des assiettes et me la lança. Je l’esquivai de justesse. La rage qui me gagnait de l’intérieur était si forte que je me mettais aussi à crier. Je lui traitais de tous les noms. Je me sentais fragile pourtant, comme si je cherchais à accrocher cette dernière partie en moi qui se brisait à toute ma colère. Je ne souhaitais que lui renvoyer toute sa haine qu’il a préférée me donner. Je voulais le briser, le mettre au même niveau que moi pour enfin qu’il ressente toute la souffrance que j’endure, toute cette estime dont j’ai perdue. Mais on ne brise pas ce qui est déjà brisé, on ne saurait détruire ce qui n’a jamais été. Ce soir-là, les injures de sa bouche ont fusé tels des coups de poignards, les filles étaient là, tapies derrière la porte du salon, nous regardant rompre finalement ce qui restait de nous. Ryan, devenait le diable en personne, il me lançait tout ce qui lui tombait sous la main, les assiettes, les verres et moi je pleurais, j’esquivais, je lui reprochais de tout ce qui aurait pu être mais n’a pas été, je le fuyais. Il brisait tout. Les anges, les guirlandes et même mon étoile subissait sa colère, puis tout à coup, il m’attrapa violemment par les hanches, je trébuchai et cognai mon nez sur la table. Je fus déboussolée tant c’était violent. Je vis flou et sentis du sang couler sur ma bouche. Il me retourna et noua ses mains autour de mon cou, je ne croyais pas que Ryan faisait vraiment ça, il allait me tuer, j’entendais les filles crier et lui, possédé, ne faisait que m’étouffer. Je lui suppliais de me lâcher. Je ne méritais pas de mourir, je ne voulais pas. Je pensais aux filles qui hurlaient, le suppliaient d’arrêter en le forçant à me lâcher, se libérant d’une de ses mains, il poussa Lana qui se cogna le crâne en un cri de douleur en tombant sur le sol. Puis, plus rien. Je mourais deux fois. Je tâtonnais le sol cherchant de quoi capable de me libérer de son emprise. Mes doigts rencontrèrent quelque chose de pointue, rassemblant toutes mes forces. Je lui enfonçai l’une des pointes de l’étoile cassée. Je la lui enfonçai profondément et ce à quoi je ne m’y attendais pas, c’est qu’au lieu de me lâcher, il m’enlevait les derniers atomes d’oxygène. Je sentais la mort me gagner et je ne voulais pas mourir sans rien faire, sans me battre. Je ne savais plus à quel moment mes facultés de survie s’étaient emparées de moi, pour Lana effondrée au sol, pour Lara qui n’arrêtait pas de lui supplier de me laisser, apeurée, traumatisée. Je lui retirai la pointe cassée de l’étoile et la lui enfonçai par petits coups aussi profondément qu’au début. Après quelques secondes, je le sentis s’affaiblir et ses mains se desserrèrent autour de ma gorge. Du sang sortit de son nez et de sa bouche. Il tenta de se relever puis s’effondra à côté de moi.

Je cherchais Lara des yeux et je la vis recroquevillée près de Lana. Ses plaintes étouffées étaient le seul bruit qui remplissait la pièce. J’avais mal partout mais je ne pouvais attendre une minute de plus pour vérifier l’état de santé de Lana. Je me traînai au sol jusqu’à elle. Je lui cherchai un pouls, capable de me rassurer que ma fille était encore en vie, je tâtonnai par tous les endroits où je devrais en trouver un, mais il n’y en avait pas. Je me convainquis que ma peur était au bout de son paroxysme. Je me mis à la secouer, à frapper son corps, la suppliant de se réveiller. La douleur à me raisonner que ma fille venait de mourir, était plus cuisante que celle de l’asphyxie, que toutes les blessures qui m’ont été infligées, même celles de mon âme. Je n’osais pas encore hurler, j’avais réussi à m’asseoir en enveloppant Lara dans mes bras. Et c’est là qu’on s’est toutes les deux mises à pleurer. 

Aucune mère ne devrait ressentir cette déchirure brulante, ce vide qui se creuse à la perte de son enfant, cette partie en elle qui se détache en une douleur affligeante. Savoir que c’est survenu à cause de moi, à cause de ses parents. Son père qui n’était pas foutu de nous aimer comme on le méritait, et dire qu’elle n’avait pas demandé tout cela. Il n’existait plus aucun autre moyen d’exprimer tout cela en moins de cinq années de vie communes et trois années de fréquentations, si ce n’était en hurlant finalement tous ces maux accumulés qui m’enterrent vivante aujourd’hui. Je tentais de me consoler en me disant que j’avais rendu justice à ma fille. Au plus profond de mon être, j’aurais encore aimé partir quand il était encore tant. Puis je me mis à caresser de mes pensées ce que ce vieux Alec Covin a écrit: l’enfer existe et que son horreur repose en ceci qu’il n’est fait que de lambeaux du paradis. Ma vie s’était transformée en un véritable enfer pour avoir dansé avec le diable. Je ne me pardonnerai jamais la mort de Lana, mais je savais que je devrais renaître tel un phénix pour sa moitié, Lara méritait au moins que je devienne une guerrière pour la sauver de tout ce drame dans lequel je l’avais plongée. Et quand tout se tut où même nos souffles ne semblaient être présents, je nous fredonnai en plaçant quelques mots çà et là « Entre le Bœuf et l’Âne gris », c’était la seule touche de lumière dans cet enfer de ténèbres:

Dors, dors, dors le petit fils,

Mille anges divins, mille séraphins

Volent à l’entour de ce grand Dieu d’amour.

 

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1 commentaire
  1. NSC dit

    Poignante, l’histoire. Pauvre petite! J’ai ressenti chaque émotion et je n’arrivais pas à quitter mon écran des yeux. Bravo Naola.

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