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L’incroyable histoire du meurtre à Thomassin

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Sosthène commit l’acte et disparut dans l’obscurité épaisse de Thomassin. Il était 9h du soir.

***

La voix tonitruante de l’animateur Bob C réveilla la capitale dans son éternel débit de mots divins, prédicteurs, évangélisateurs qui eurent toujours l’effet recherché, celui de se faire paraitre comme le messie des ondes qui vient mettre le baume sur la gangrène de cette ville qui a déjà atteint son stade de putréfaction. L’aube se pointait en même temps que s’épuisait les différentes rubriques de l’émission, tandis que la clameur de la ville s’élevait déjà drue et grouillante. A Port-au-Prince, il ne fallait pas badiner dans son lit si l’on souhaitait ramener la boustifaille à la maison le soir. Et si malheur arrive aux hommes de ne rien apporter, il se verrait accueillir avec une moue à faire jalouser l’inventrice de cette expression féminine et du même coup se voir refuser une nuit où en temps meilleur aurait dû être enflammé.

Bob C en roi matinal des ondes caraïbes, vitupérait sur le système, crachait sur le manque d’organisation des services étatiques et déplorait les actes fâcheux qui se commettaient par ci par là dans les moindres recoins de la capitale. Ce qui laissait planer des auras d’insécurité et la méfiance devenait une hormone qui commençait par changer le comportement des habitants de cette ville. Ainsi, la nouvelle avait fusée et glaçait le sang de plus d’un auditeur au point que le jour même elle devenait le principal sujet de toutes les conversations. On avait retrouvé le corps d’une jeune étudiante, le crâne fendu, les bras en croix, baignant dans une mare de sang qui lui faisait passer pour une offrande à une quelconque divinité sanguinaire. Aucun de ses effets personnels n’avait disparu pourtant, ce qui plongeait les enquêteurs dans une équation à des inconnues multiples et Dieu seul sait s’ils étaient des calés en maths.

Le nouvelliste ne tardait pas à se mettre aussi de la partie. En grande machette, a la cinquième page : « L’insécurité sévit de plus belle: homicide à Thomassin ». La fille se révéla être l’une des filles d’un ancien premier ministre, fraichement bénéficiaire d’une bourse d’étude pour les Etats-Unis où elle a eu à concourir avec cinquante autres nations. Belle, intelligente, riche mais humble, sa photo fit le tour des réseaux sociaux et son intimité précieusement gardé pendant vingt-cinq ans, rien qu’en un tour de toile devenait viral.

***

Le Dr Frelond travaillait depuis déjà cinquante ans à l’hôpital universitaire de l’état d’Haïti et il avait vu des choses. Lorsqu’il avait obtenu son diplôme, il s’était emballé dare-dare dans une affaire de bourse pour une étude en médecine légale. Etant donné que le pays fumait la carence en ce domaine, il s’était vu dans quelques années plein de pognons et travaillant sur des tissus morts essayant de trouver le sésame mystérieux. Au début, ça a commencé à une vitesse normale, assez pour qu’il puisse se décrocher des jobs dans les plus grands ONG de la capitale jusqu’à ce que le régime despote des Duvalier fourre toute leur gueule dans le dossier. Alors il a eu affaire à des politiciens véreux voulant cacher leurs crimes en le soudoyant, lui graissant la patte de quelques billets de l’oncle Sam. Il a accepté une ou deux fois mais sachant qu’il commettait des violations à l’éthique de sa profession, il a voulu prendre du recul. C’est avec la persuasion d’une crosse d’arme au creux de la nuque qu’on lui a forcé à faire la basse besogne. Dieu seul sait comment, il a été soulagé de la chute des Duvalier, il pensait avoir sorti du cercle vicieux lorsqu’un autre cercle plus vicieux encore le happa et le mit en orbite. Chétif, des lunettes opaques sur un nez crochu lui donnait l’aspect d’un spectre évadé d’un film d’horreur d’Hollywood. La blouse n’arrivait pas à ménager son apparence, il était une loque humaine, avec des secrets, des regrets et du sang sur les mains.

On lui avait apporté ce corps, cette jeune fille, oui, il avait entendu parler d’elle dans les nouvelles. Le macchabée se retrouvait maintenant sur sa table de dissection. Peu lui importait, il y avait longtemps qu’il avait perdu la flamme, l’ouragan macoutiste avait tout saccagé. L’histoire de cette jeune fille ne l’intéressait, il ne savait même pas pourquoi on l’avait apportée sur sa table. Ces maudits haïtiens ont la fâcheuse tendance de tout jeter sur le dos du mysticisme lorsqu’ils ne comprennent pas des choses. Il va juste faire un examen superficiel et renvoyer le cadavre là ou est sa place maintenant, c’est-à-dire six pieds sous terre.

Il commença son examen, il y avait beaucoup d’hématome sur le corps de la demoiselle et l’un de ses aréoles mammaires pendouillait, arrachés de son support. « Merde, pensa-t-il, elle s’était fait attaquer par un loup ou quoi ? ». Des doigts experts parcoururent le bas ventre, survolèrent l’entrejambe, courut sur les mollets et remonta vers le bas-ventre. Il ouvrit alors les cuisses du macchabée en équerre et c’est là que :

-Au mon Dieu, Quel genre de… Bordel de merde !

En tremblant, il sortit son smartphone de sa poche.

***

Cela fait la énième fois qu’elle se disputait avec son père. Elle haïssait qu’il empiète sur sa vie et qu’il lui dise ce qu’elle doit faire comme si elle était toujours cet enfant de douze ans qu’il emmenait tout le temps au Sacré-Cœur. Ces parents haïtiens, pff ! Dans leurs têtes, leurs progénitures restent toujours ces quelques centimètres de chair chaude enveloppée dans les linges. Heureusement qu’elle avait hérité de son caractère, elle n’allait pas lui laisser gain de cause. L’écran de son smartphone s’alluma sur le siège passager tandis que le déluge qui s’amoncelait depuis quelques temps déversa ses millilitres aqueux. Le nom de Daddy s’affichait sur l’écran. Elle l’ignorait admirablement et se concentra sur la route qui se vidait de son monde pour se remplir d’eau déferlante. Le téléphone vibra de plus belle, l’inlassable nom s’affichait sur le LCD, elle s’énerva et se pencha et pris le portable et l’éteignit. Elle alla reporter son attention sur la route lorsqu’elle eut une secousse brusque et l’avant de la voiture bascula en avant et l’une des roues s’engagea dans un trou. Il eut un bruit sec. Fatal. Cassant. Elle sut d’instinct qu’elle était dans la merde.

Elle prit la route à pied, son orgueil l’étranglant comme une cravate trop serrée, elle n’appela point son père, voulant rentrer par ses propres moyens. Elle guetta le lieu de stationnements des motocyclistes mais ils avaient vidé les lieux. Elle ne comprenait jamais la peur bleue des haïtiens de la pluie, tant de choses pourraient les faire craindre et paniquer mais jamais de la même façon qu’une goutte de pluie tombant avec force et abondants. Ils détalent comme des rats.

Finalement, il vint à passer à contre-courant un motocycliste avec un pardessus qui lui jetait de l’ombre sur le visage. Sans hésiter, elle le héla, il vint stopper à sa hauteur, elle put voir alors que c’était une personne d’âge mur, elle fut rassurée aussitôt.

Cela faisait dix minutes qu’ils filaient à toute allure, l’averse avait diminué progressivement, elle avait le corps trempé et elle lui semblait qu’il tournait en rond depuis quelques temps.

  • -Savez-vous au moins là ou vous m’emmenez enquit-elle en fronçant un sourire.
  • -Pas de panique jolie dame, ses rues sont dans mes cordes, pas moyen qu’on se perde.

L’homme a dû parler trop tôt car il stoppa net devant une bifurcation et il semblait réfléchir intensément sur la direction à prendre.

  • -Nous allons devoir faire marche arrière pour contourner cette bifurcation.
  • -Cela ne fait aucun sens, hurla-t-elle sentant montée en elle une grosse vague de colère.
  • -J’ai dit qu’on va faire marche arrière imposa durement l’homme transformé soudain.

La vague de colère qui montait en elle se mua en une vague de panique. Tous ses sens en alerte lui intimaient de fuir. Cela sentait le danger a plein. Prise d’une inspiration soudaine, elle plongea vers le sol et elle eut de l’eau sale jusque dans ses sous-vêtements. Elle se releva tant bien que mal quand ses talons aiguilles cédèrent sous son poids. Elle bascula de plus belle dans l’eau boueuse.

  • -Poutèt sa w fè an m ap fout ou twa katouch !

Elle se releva quand même, tout son corps trembla et elle se rendit compte à l’instant même qu’ils étaient les seules âmes vivantes des lieux. Elle tourna le dos quand même pour s’en aller quand… un ordre.

  • -Epi kanpe la !

***

Sosthène n’était pas un meurtrier. Une victime du système qui n’avait pas trouvé la bonne voie pour s’émanciper et qui s’était résigné à croupir. Croupir dans une misère inhumaine, partagé entre une vie dans les salons de jeux et une autre endormie sur le guidon de sa moto cuvant une nuit arrosée à perdre le peu qu’il avait. Omis d’être un miséreux, une victime et un va-sur-moto, heureusement le Père Lazare lui avait épargné d’être va-nu-pieds en lui donnant cette motocyclette pour service rendu aux sacristains, il avait ce problème qui l’avait fait faire le tour du pays pour trouver une solution : son dysfonctionnement érectile. Depuis qu’il avait atteint l’âge de la puberté, jamais il n’avait connu ce qu’on appelle une érection, se croyant être normal et il a pu éclairer sa lanterne en écoutant les jeunes sacristains se parler entre eux des bienfaits de la masturbation. Il a même osé demander au Père Lazare ce que c’était lorsque celui-ci lui vida toute sa fiole d’eau bénite sur la tête tout en faisant un exorcisme d’urgence. Il apprit son mal et ce mal fut la goutte d’eau qui fit déborder sa haine pour un Dieu qui n’a su rien lui donner. Pas d’érection, pas de virilité, pas de femme, pas de fille de joie, rien. Rien de rien. Il était la risée de tous et cela le plongea dans un état qui le faisait basculer dangereusement vers son côté obscur.

Sosthène, grand amateur de jeu de poker, quarante-cinq ans, les yeux fuyants et le dos large avait vingt-quatre heures pour rembourser vingt-mille dollars aux caïds de Juvénat, réputé pour être le tortionnaire le plus impitoyable. Il avait expliqué son cas à son meilleur pote Tipa, celui-ci avait fui rien qu’en entendant le nom de Grosœil. Il se voyait déjà perdu. Torturé, les testicules décapsulés et retournés à l’envers lorsqu’il tomba sur cette demoiselle.

  • -Je ne voulais pas la tuer Tipa, confessa-t-il quelques jours après le meurtre.
  • -Quoi ? s’étonna Tipa du haut de ces 1m95, mâchoire solide et moustache en Salnave[1]. Ne me dis pas que tu as quelque chose à voir dans cet homicide ?
  • -Elle ne m’a pas laissé le choix, elle avait attrapé son téléphone et j’ai dû lui fracasser le crâne.
  • -Mais bordel de merde, ou pèdi tèt ou djab, qu’est-ce-qui t’as pris ? j’espère au moins que tu as eu l’argent que tu voulais.
  • -Woooo, w anraje djab. Tu es un homme mort, brother ! GroJe se pa boul grenn ou ase lap manje non.
  • -Mais il y a autre chose Tipa. Une chose inouïe.
  • -Dis-moi mon frère.
  • -Lorsqu’elle baignait dans son sang, je la voyais qui bougeait encore, alors je lui ai asséné des coups au niveau du cœur jusqu’à ce que disparaisse la vie dans ses yeux. Et c’est là que mes yeux tombèrent sur ses seins…
  • -Epi ? lui incita son interlocuteur à poursuivre son récit.
  • -Et puis, je n’ai pas accordé d’importance à cette masse encore chaude mais j’avais déjà enfourné ma moto, lorsque je jetai un dernier coup d’œil sur le cadavre, sur ses seins précisément et je ressentais ma queue tressaillir pour la première fois et se bomber. Des disproportions énormes.

Tipa avait le regard horrifié.

– Qu’est-ce-que tu lui as fait ?

– Tout ce que devrait faire tout garçon virilement constitué. Je suis prêt à mourir maintenant, j’ai connu le plaisir.

– J’espère que tu n’as quand même pas loupé l’endroit, dit celui-ci une expression d’horreur sur le visage.

– Nickel mon pote, entre les deux fesses.

 

Lire également>>La chute du troisième homme

Eder Apollinaris S.

[1] Ancien président d’Haïti (14 Juin 1867- 15 Janvier 1870), Sylvain Salnave (Né le 7 février 1826 et exécuté le 15 Janvier 1870), était connu pour sa beauté et la forme assez particulière de sa moustache. (Image l’appui)

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2 commentaires
  1. nalissah2000 dit

    Pourquoi le docteur est si surpris?!?
    Entre les deux fesses?! OMG!!?
    Tu dois écrire la suite.

  2. […] Lire également>>L’incroyable histoire du meurtre à Thomassin […]

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