mes illusions debout
j’ai rêvé Port-au-Prince
ville pleine de promesses
dans l’œil avare
d’une jeunesse famélique
pétrie de rêves et d’hormones
qui regarde la vie
à travers des chansons gaies
sexual healing
let’s get it on
je pars conquérir
le vieux tour
un matin de juillet
avec un clin d’œil
à ce petit garçon en haillons
un bout de tissu noirci
dans sa main gauche
campé en face
d’une vieille quincaillerie
avec plus d’insouciance et de sourire
que d’espoir dans ses yeux
cette espèce de naïveté
et d’insolence
face à la tragédie haïtienne
la première chose
que j’ai remarquée
dès mon installation ici
il y a de cela cinq ans
c’est que cette ville
est littéralement chaude
je suis ce garçon enragé
Gouverneur de son propre destin
amarré à celui des siens
ou cette fille terrible
pleine de foi
qui veut démontrer par A plus B
aux têtes de mule que sont les hommes
ce qu’être femme veut dire
j’ai rêvé Port-au-Prince
ville pleine de promesses
à bord du premier tap tap
MIRACLE DE DIEU
frappé à l’effigie
d’un Christ joyeux
dans sa passion
bonjour
les bêtes
les humains
des sacs de légumes
le cosmétique
le relent de Croix Bossales
le doux parfum de ce jeune homme
qui cherche une voix dans la mêlée
pour crier à son amoureuse
qu’il est à deux doigts d’arriver à l’hôtel
pour leur partie de jambes en l’air
alors qu’il ne l’est du tout pas
j’ai rêvé Port-au-Prince
ville pleine de fantasmes
avec ses bars et ses bordels
avec ses bars resto hôtels
les étoiles scintillent la nuit
dans la Grand-rue
ville multicolore
« Car une ville sans putes est une ville morte.
Car si les putes n’ont pas de tombe,
je jetterai des fleurs aux trottoirs »
Pòtoprens
chabon dife /
Port-au-Prince
charbon de feu
ville saccagée mais debout
à l’image de ses putes
de toutes les putes du monde
debout pour quelque chose
au milieu de l’inégalité
ville inégale
ville contrastée
ville d’en haut et ville d’en bas
ville amochée
avec sa beauté qu’on peut encore imaginer
comme un goût sur les lèvres de mémoire pâteuse
ville crevée
« ville d’égouts à ciel ouvert
reste de ville
mais ville quand même »
la nuit
on a plus peur des bandits ici
que des loups-garous
j’ai rêvé un ghetto à Port-au-Prince
où les jeunes garçons n’auront que faire
des Browning 9 mm
des Glocks 43
trop occupés qu’ils seront
à écrire des lettres d’amour
qu’ils glisseront sous la fenêtre
à cette fille de la maison d’à côté
mémoire d’une ville bruyante
comme un estomac qui a faim
les bruits de Port-au-Prince
sont aussi intenses
qu’un chuintement de Tilapias
dans de l’huile bien chaude
terrain glissant
on côtoie la mort
au tournant de cette rue
avec une telle familiarité dans le corps
que ça devient ahurissant
jusqu’à ce qu’elle nous attrape vivement
par surprise à la gueule
et nous laisse nous-même ahuris
un cadavre gisant
à même le sol
et un restaurant voisin
en plein air
ville nul n’est à l’abri
les moustiques errent
ça et là
au bas de la ville
j’ai rêvé Port-au-Prince
derrière les grandes lunettes noires
des gens
bons ou mauvais
qui évitent de se regarder
au risque de se trahir
lè marengwen ap vole
ou pa konn kilès ki mal
kilès ki femèl /
lorsque le maringouin s’envole
tu ne connais ni le mâle
ni la femelle
Champ de Mars
ces étudiants de telle faculté
de l’Université d’Etat d’Haïti
qui devisent sur les avantages du marxisme
par opposition au capitalisme
ces gamins qui jouent au football
avec un ballon de fortune
cette jeune fille
qui regarde intensément
un jeune homme
qui lui voue sa flamme
sur un banc tout près du kiosque
et qui recherche la vérité
moins dans les propos de l’homme
que dans son regard
les hommes qu’elle a connus avant
ont tant de fois
trop mal utilisé
voire abusé
ce verbe si mensonger en lui-même
l’art brutal à travers
trois gouttes de larmes
tracées limpides
dans l’œil d’une femme nue
sur ce tableau d’un jeune peintre
d’à peine quatorze ans
sur l’Avenue Lamartinière
je ne comprends pas
qu’on puisse être aussi étranger
dans une ville après tant d’années
Port-au-Prince
danse
tout le temps dans notre imaginaire
alimenté par le son extérieur
Port-au-Prince
ville géante
on prend conscience de son immensité
et de notre ignorance
vis-à-vis d’elle
seulement hors de son ventre.