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Aris

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Jour X de lock

Cher journal, 

Tu dois être fatigué de mes complaintes quotidiennes à propos de ces dirigeants répugnants dont le cœur n’est pas fait pour aimer leur patrie, de ces criminels qui permettent à la terre de se gaver de sang régulièrement… Je sais que je te remplis de lignes sur cette ère de la médiocrité, de l’incompétence, de la corruption, de l’impunité qu’ont érigée ces gens avides de chaos. Mais tu n’as pas trop le choix, n’est-ce pas ? Depuis que le pays vit sous bwa kale, ma haine pour ces rapaces qui poussent le peuple à bout, mes inquiétudes ont explosé le baromètre. J’ai forgé le concept « créer en temps de crise » pour me dégourdir l’esprit, mais tu sais toi-même que ça ne marche pas toujours. Bref ! Cette fois, je suis venu te raconter une histoire triste et significative. 

Aujourd’hui, je me suis rendu au marché pour des courses. Ma maman a reçu un petit tchotcho de mon oncle à l’étranger. Après de longues heures dans la file d’attente d’un bureau de transfert (oui, elle s’y était rendue tôt), elle a pu finalement mettre la main sur l’argent. Dieu soit loué ! Fatiguée, elle m’a donc chargé d’aller nous chercher quelques provisions en prévision des jours incertains à venir.

 Alors oui, laisse-moi te raconter ! Je me procurais de ce que je lisais sur la liste de ma mère quand soudainement, un homme en guenilles et puant l’urine à des kilomètres fonça sur une dame baissée, comme pour tremper son biscuit. L’homme en question tint la dame par la hanche et s’accola à elle. Il s’apprêtait à tirer son machin quand la femme s’est brusquement redressée, le culbutant par la manœuvre.  On l’a repoussé à coups d’ustensiles à la tête, épaulés de diverses invectives. L’homme courut vers le mur d’une banque de Lotto, exhiba son pénis comme un trophée pour le frotter vivement contre le mur. Naturellement, il fut rapidement ensanglanté. Alors que ça me filait des frissons tout bonnement, il paraissait ne rien ressentir quant à lui. Il continua sa besogne machinalement jusqu’à s’arrêter enfin, son pantalon sale mouillé du sang qui venait de son membre râpé. Dans la foulée, j’ai remarqué qu’il tenait des cahiers sous son bras gauche. 

Préoccupé par la scène, je me suis mis à penser tout haut :

  • Quelle méchanceté de mettre quelqu’un dans un tel état ! Pourquoi le pousser à se faire autant de mal ? Grand Dieu !
  • Hum ! répondit la marchande à laquelle j’avais affaire. Sa w pa konnen pi gran pase w tande gason m. 

Je suis resté perplexe face à cette déclaration.

  • Mais ce n’est pas humain de mettre quelqu’un dans cet état, me suis-je défendu. 
  • Si tu savais ce qu’il a fait pour mériter cela, tu n’aurais pas autant pitié pour lui, a renchéri une acheteuse. Li merite l wi. 

Je leur ai fait part de mon envie d’en savoir plus. Et ainsi, j’ai appris l’histoire de l’homme que je voyais s’éloigner.

Aris, – il s’appelle Aris -, a été un bon professeur de mathématiques, l’un des meilleurs de la place. Il donnait des leçons privées à plusieurs élèves. Dans un premier temps, il se montrait correct ; on le connaissait et le respectait. Ses instincts de prédateur se sont ensuite réveillés et il s’est épris d’une jeune demoiselle, une de ses élèves. Voyant que ses avances ne fonctionnaient pas, il s’est résolu de la prendre de force un après-midi tout en la menaçant pour ne rien dire à personne. Enceinte de lui, la fille a avoué le crime de son professeur à sa mère. 

La mère de la demoiselle était une femme qui élevait seule son enfant, depuis la mort de son mari. En apprenant la nouvelle, la pauvre mère a pesté et s’est rendue au domicile du présumé coupable.  L’homme a juré, genoux par terre, qu’il  n’avait rien à voir avec cela, traitant la fille de menteuse. Il a même proféré des menaces à l’endroit de la mère pour l’avoir accusé à tort, promettant de la faire arrêter par le chèf katye, son bon ami à l’époque. Face à tout cela, la femme s’est retirée sans manières. Elle a demandé à sa fille une dernière fois si elle disait vrai, ce qu’elle a confirmé. Après quoi, elle a décidé de se faire justice elle-même. Et voilà le résultat !

Après ce récit, je compris tout de suite l’obstination sexuelle du fou mais je poursuis quand même :

  • Je comprends maintenant. Il est certain qu’il n’aurait pas dû mais n’est-ce pas un châtiment trop grand ? 

Honnêtement, mes mots étaient lancés en toute innocence. Une autre marchande qui n’avait rien dit jusque-là fit alors une entrée fracassante dans la conversation.

  • Mèwi ! Se pou m te kite l kontinye al anfrajele lòt tilèzanj deyò a pandan pitit mwen an g on timoun san li pat mande? Bon se vann m te dwe vann chen an pou m okipe timoun li an. Tchuips.

Je fus saisi de frayeur en comprenant la situation. Je ne subodorais rien de tel, je n’imaginais pas cette tournure. Comment aurais-je pu imaginer que la femme dont on me parlait assistait à la scène ? J’en fus si étonné que j’ai oublié d’empocher ma monnaie. On a dû me rappeler. Tout en chemin, je revoyais sans cesse la scène en tête. Le monde regorge d’étonnements, me disais-je. Mais je me posais aussi plein de questions : Comment la dame se sent-elle quand il voit le monsieur ? Ressent-elle de la satisfaction ou, au contraire, du regret ? En pensant à son visage crispé par la colère, peut-être à cause de mes propos, je ne pouvais vraiment deviner de quel côté elle se trouvait.

De retour à la maison, je racontai tout à ma mère. Sa réponse ne m’a pas surpris. 

  • Ou wè sa m toujou konn ap di w yo ? Moun isit pa jwe. Pitit fi moun sakre. Fè respè w.

Cher journal, je n’ai pas donné suite aux paroles de ma mère mais j’y ai longuement pensé. Là encore, j’y pense. Les choses pourraient être bien simples mais il y a ceux qui préfèrent s’emmurer dans leur petite conception. Il faudra se rappeler cela : les mineurs n’ont pas de consentement et, surtout, un NON n’est autre qu’un NON.

Witensky LAUVINCE 

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