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Billet à mon amour de grann qui a rejoint les étoiles.

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Billet à mon amour de grann qui a rejoint les étoiles

Décidément, septembre s’est taillé la réputation du mois de mes pires séparations jusque là. Septembre 2008, je laisse mon berceau pour Port-au-Prince. Septembre 2011, ma grand-mère maternelle nous quitte après des mois de lutte avec une maladie. Et cette année, c’est à ton tour, granma, d’enjamber la rivière pour atteindre l’autre bord.

4 septembre 2020. 3h37 : Heure exacte où j’ai appris, entre sommeil et réveil, que tu n’es plus de ce monde, après avoir héroïquement toujours cru que tu vivrais. A peine le jour prenait naissance que la nuit lui retomba dessus aussi lourde que ses nombreux soucis. Je n’ai même pas eu besoin de tirer le fil de la nuit suspendu au-dessus de ma tête. Non, tu n’es pas partie ainsi, loin de moi, sans un dernier sourire, sans un dernier baiser. Au compteur de la vie, tout s’arrête donc pour toi, c’en est fini. Voilà, c’est fait ! Adieu mon café bien chaud, mon chocolat ! Adieu mes conseils ! Adieu mes week-ends de prince ! Adieu les pase men nan men m ! Adieu adieu adieu…

Assis par terre, entre quatre murs, j’ai vu défiler devant moi toute mon enfance avec toi, ces matins où tu te levais tôt pour me préparer quelque chose pour l’école, ces dimanches où j’attendais que tu rentres de Port-au-Prince. Toutes ces années si simples et si belles dans tes bras. Lè w pa gen manman w tete grann ? Manman m te la byen gra se anba vant grann m te konn dòmi chak swa. Le premier petits-fils que tu as eu et dont tu as pris soin jusqu’aux portes de la mort. Tu as été évidemment la première à m’inculquer les notions d’humilité, de responsabilité, et m’apprendre à assumer mes actes. Tu as posé les premiers blocs de ma construction d’homme et d’humain mais tu es partie à un moment où ma vie demeure encore un trop grand chantier.

J’aimais relater le fait que j’ai grandi avec toi, parce que ça m’avait plu, parce que tu me verras toujours plein de gratitude (pour tes sacrifices, ta patience, ce caractère que tu m’as forgé), parce que le monde doit savoir que tu es derrière ce petit garçon mal assuré devenu homme. Mais mon anecdote préférée à propos de toi reste le fait que tu me disais toujours de ne pas accepter qu’on m’appelle Lovenns. Je répète souvent à ceux qui le font : “Pa kite grann mwen tande w.” Ma grand-mère affirme que je m’appelle Lauvince et non Lovenns. Retenez ceci, cher monde ! Ah ! Mais la mémoire est à présent plaie à la tête. Ton départ, violente secousse qui a multiplié les failles du cœur, fait de moi un homme brisé dont les tessons sont à broyer pour le remède.

Grand-mère, j’ai combattu tout au long de ma vie comme tu me l’as appris. Et généralement, lorsque je me sens impuissant ou que ma douleur s’avère insoutenable, c’est bien en ces moments que je ne dis rien, que j’entasse silence sur silence jusqu’à me construire mon antre. J’ai développé la faculté de prendre du recul, de me replier un peu comme les tortues; elles face au danger et moi vis-à-vis de la douleur. Mais là, je n’en peux plus, Granma. A l’intérieur c’est une douleur debout, poings serrés tel un édifice qui a pris pieds dans les entrailles de la terre pour percer le firmament. J’avais encore besoin de toi, il me faut peut-être crier jusqu’à briser les vitraux de toutes les cathédrales mais est-ce que toi tu m’entendras ?

Maintenant, je ne peux plus faire semblant, je n’ai plus de carapace, je ne ferme plus les lucarnes de mon être en toute hâte comme avant. Je m’ouvre, je laisse tout entrer, et je tente d’expulser. Y arriverai-je ? De toute façon, ta mort a ouvert une porte sur des rues qui hurlent et des terres qui s’érodent parce qu’il pleut, à verse, dans mes yeux, sur mon cœur et partout en moi… C’est tout un torrent de lune qu’il me faudrait pour laver mes blessures obscures. En attendant, je me tiens simplement debout, impuissant devant un soleil en ruines, je brûle des cellules de moi et éparpille les cendres un peu partout dans l’espoir qu’elles arriveront à disséminer mon chagrin. Il y a de très grosses vagues qui déferlent de partout mais je n’essaie plus de les enfourcher, je ne sais plus comment chevaucher une peine, grand-mère. Non, je ne sais plus ! Que ta voix dans l’au-delà soit bouée de sauvetage pour mes rêves. Va en paix, douce maman !

Witensky Lauvince Le Scribe

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