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La chute du troisième homme

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C’était une nouvelle qui avait fait pas mal de rebondissement en moi. Choc psychologique qui déjanta mon esprit en mille petits morceaux de peur. Je semblais me perdre dans les tréfonds d’un problème sans queue ni tête  qui se muait en un véritable trou noir qui m’aspirait, fortement, goulûment vers son centre fatal de néant. Une nouvelle qui a fauché mes convictions, balayé en un revers de la main ce qui a été moi une fois. Après des jours que j’ai passé dans le coma sans savoir où j’étais, qui j’étais, ce que je faisais. Je n’étais qu’un vulgaire pantin de viande qu’on prenait soin par routine juste pour tromper l’attente de sa mort imminente. Plus d’espoir pour un jeune homme de trente ans qui s’est fait renverser par un bulldozer sur son chantier de travail. Dieu ne sait combien de nerf avait-on trouvé se pâmant sur des muscles sans tonus, combien d’os a pu se briser sous le choc, combien d’appareils vitaux ont été atteint sans espoir de remédiation. Plus d’espoir pour ce cadavre bon pour la dissection que les médecins s’acharnaient à attiser cette petite flamme prête à mourir. Pourtant…

 

Loin de ma dérive éternelle dans lequel se liquéfiait l’identité d’un homme qui travaillait sur le chantier de sa mort. Je vis la lumière qui rendit perplexe les machines savantes de la science. Je revivais par sa grâce. La lumière m’a touché et je me réveillai après 29 jours à immortaliser un tableau risible sur le lit de ma pétrification. Ce réveil provoqua un émoi digne d’un Big-bang, c’était… comment dire? C’était comme la résurrection du Christ. On m’a fait repasser des tests et on n’a pas pu trouver l’élément causal de ce  miracle. Régénération, tel est le mot dont a utilisé le docteur pour tenter d’expliquer mon mal en des termes plus médical. Et moi je voyais un signe de la foi. Un signe que le ciel me gardait. L’existence qui se confirme après qu’on ait tout vécu.

                        Je me croyais sauver, hors d’atteinte des séquelles de mon accident. J’avais repris de mes vieilles habitudes. Je suis  retourné travailler sur le même chantier. Je n’avais pas le choix, je n’étais plus un corps sans vie branché à des machines. J’avais un corps normalement constitué que je devais nourrir coûte que coûte. Puis il y avait ce matin où c’est avec le mal dans la chair que je me réveillais. Une nouvelle menace se pointait. Une menace qui rendit défectueuse mes appareils locomoteurs. Je ne sentais plus mes jambes, et je perdais partiellement la sensibilité de mes membres supérieurs. Le verdict tomba sagement, un soir après que le docteur m’ait fait prendre des médocs. Je serai paralysé toute ma vie. Tétraplégique. Cette douloureuse réalité me brisa en miettes.

                        Dans cette vie, je suis quelqu’un qui est sorti de haut, qui a chuté bas et fort. J’ai été brisé en mille petit tas dans la nuit où il y avait le silence accompagné de cette dame à la face blanche qui me regardait avec des yeux ténébreux. N’avais-je pas su qui elle était? Non, carrément non… mais je savais qu’elle était là pour moi. Dans mon silence. Seul avec l’échafaudage de toute une vie qui tombait sur un pauvre homme estropié tel que moi. Ludovic Bongard.

***

Il se servait de ma main pour apporter la preuve qu’il avait toujours un regard sur ce monde. Je sentais sa puissance en moi et lorsque je priais cette sensation s’intensifiait au point que je sentais l’air devenu électrique autour de moi. Sans en comprendre comment, je me mettais à parler en d’autres langues, j’avais les yeux révulsés, déconnectés de notre monde, je regardais dans l’autre et puisaient l’énergie nécessaire pour guider mes fidèles sur la voie de l’Évangile. C’était le moindre que je pouvais recevoir d’un Dieu qui a tant fait envers ma personne. Je me souvenais encore de ma seconde guérison. J’étais déboussolé sans l’usage de mes mains et de mes pieds. Je maigrissais, le chagrin l’emportait sur moi et parfois je me demandai pourquoi j’étais encore en vie. Pourquoi n’ai-je pas succombé sous le poids de ce gros tas de merde plombé une bonne fois pour toutes. Dans la demeure du silence dont la mort commençait déjà à jeter son sinistre présage funéraire, moi, impotent, misérable et pécheur j’ai entendu le son si doux de sa voix qui me caressait dans un halo de lumière soudainement apparu. Encore cette lumière, quoiqu’elle fût resplendissante j’avoue que sa présence ne m’avait point réconforté. Je l’avais vu déjà une fois, elle m’avait guéri certes mais pas assez pour m’empêcher d’être la proie d’autres accidents post-traumatiques. Puis soudain, la lumière explosa et je sentais sa chaleur éclatée qui s’insinuait dans chacun de mes pores. J’étais comme chauffé à blanc et ma moelle épinière se contorsionna violemment tandis que mes nerfs reprirent vie. Tout comme elle était apparue, elle disparut sans que j’aie le temps de demander si elle avait vraiment été. Me laissant dans mon silence. Cette fois-ci, pas tout seul, j’avais mes mains et mes pieds.

L’église la Foi en Jésus-Christ, sise à la Rue Saint-Lazare, attirait de plus en plus de gens en son enceinte. On venait de partout de la zone métropolitaine pour m’entendre dicter la parole de Dieu, accomplir des prodiges et chasser les démons. Dans la chaleur étouffante d’une pièce d’où transpiraient dix mille âmes ayant des requêtes les unes contraires aux autres, fuyant un quotidien cataclysmal d’où l’horreur se mélangeait avec la peur pour tuer l’espoir qui hibernait en eux. Je délivrais mon message visant à inciter les jeunes à mener une vie agréable au Seigneur. Une vie sans fornication, une vie sans débauche et autre plaisir de la chair. « Bande je nou »[1] tel fut le thème de ma prédication. Tenant ma bible sous mes aisselles, un peuple assoiffé du divin assistait à ma verve prédicatrice dans laquelle je haranguais avec flamme les déboires d’une jeunesse qui passait la majeure partie de son temps à piaffer. Une jeunesse sans repère, qui crache sur les valeurs morales et ancestrales en s’adonnant à des perfidies digne d’un autre Sodome et Gomorrhe. Déliquescent, terme qu’on emploie bien souvent pour expliquer leurs attitudes caméléons. Postillonnant tel un volcan en éruption, je me suis présenté comme un modèle de la pureté sexuelle. Pas de ça avant le mariage. Notre corps est le temple du Saint-Esprit, à croire que Dieu émasculait tous ceux qui choisissaient de le suivre. Ainsi, ma renommée s’agrandit considérablement dans le secteur évangélique aidé de près par les miracles que j’accomplissais. Ainsi je vis se dresser contre moi des ennemis. Des détracteurs qui veillaient mes moindres faits et gestes pour distiller leurs venins de tromperie contre ma personne. Mais cela ne me disait rien qui vaille, pourvu que je plaise à mon Dieu tout en me tenant à l’écart de l’adversité.

Sur ma route, étaient survenues des tentations de toutes sortes mais ayant déjà passé par le pire, rien ne pouvait ébranler ma foi. Je fuyais la fornication, je fuyais l’argent, je fuyais les sentiments qui me rendaient en désaccord avec tous et je recherchais la paix et la sanctification. Qu’est-ce-que je n’avais pour atteindre l’illumination ultime, le revêtement de gloire et d’immortalité? Sauf que j’avais sous-estimé mon ennemi. Qui aurait cru qu’un jour que moi, Pasteur Ludovic Bongard, allait commettre de telle bassesse en reniant les principes de son Dieu. Je gardais encore en moi cette partie obscure qui n’avait cessé de refaire surface. Le vieil moi. L’anti-Dieu. L’homme-loup, non pas le berger.

Derrière mes grands airs d’homme de Dieu se cachait un humain qui menait une lutte continuelle dans sa chair. Me voyant au seuil de l’ascension céleste, je n’avais pas fait prudence. Tenté par la gloire, je me laissai aller à l’orgueil, me prenant pour un dieu moi-même. J’étais devenu narcissique, j’idolâtrais ma personne et forçais les gens à m’idolâtrer. Un jour, un homologue de la ligue des Pasteurs m’a chuchoté un reproche à l’oreille. Comment un pasteur aussi populaire telle que moi n’avait pas une piscine dans sa maison et marchait à longueur de journée sur ses deux zagots? Frustré par cette insolence, je commençais par prêcher l’évangile des mille gourdes et des miracles en dollar américain. Juste pour avoir le respect de ce pasteur qui osait me traiter de campagnard et homme sans vision. Petit à petit, je m’enfonçais dans le bourbier du péché. Et le chien avait retourné ce qu’il avait vomi comme l’avait si bien dit l’Apôtre Pierre. L’année suivante, j’obtenais mon visa pour les États-Unis et c’est de là que j’ai signé la clause officielle de mon renoncement à la pureté chrétienne. J’avais repris goût aux malpropretés de ce monde et la prière m’était devenue une nourriture sans saveur. Pour échapper aux regards critiques, j’entretenais toujours ma position et commençait par améliorer jour après jour ma nouvelle carrière de comédien. Laissez-moi vous avouer que j’ai même consommé quotidiennement ma bouteille de lanni lors de mes jours  insipides. Charnalité me tenait par la gorge et me faisait payer ma bouche, mes paroles envenimant, proférées avec zèle lors des cultes et croisades. Le clou de l’affaire fut Sœur Léane. Belle jeune fille devant Dieu et devant les hommes. Elle avait les yeux du paradis, son sein ressemblait aux pommes défendu tandis que sa croupe élargissait d’une façon à faire grossir vos devants, semblait demander avec insistance qu’on plante en son milieu l’Arbre du Bien et du Mal.

Je n’arrivais plus à me sortir de la tête l’image de cette sœur qui venait souvent dans le presbytère demander l’aide de prière pour une affaire de démon qui voulait du mal à sa famille. On dirait que rien qu’en la voyant rentrer, tous mes sens s’attisèrent et je n’avais d’yeux que pour ses lèvres pulpeuses, sa poitrine généreuse, sa manière d’être soumise lorsque je lui fait le coup de l’imposition des mains. Elle ne vit jamais cette dépression au niveau de mon pantalon qui aurait ouvert ses yeux sur tant de choses cachées. Et lorsqu’elle sortit du bureau, en me disant: «Bondye beni w’ Pastè»[2]*  elle ne savait pas que mille images ne venant pas de Dieu prenaient chair dans mon esprit. Semaine après Semaine, et ce démon était toujours là. Ce démon qui la poussait tous les jours à entrer dans mon bureau et me supplier avec ses yeux en amandes: «Pastè, maladi an pa  janm ale toujou non».* Sans savoir qu’en disant cela, elle prolongeait mes jours de tentation et me faisait prendre conscience que j’étais toujours humain. Cette affaire de mis à part n’était que bobine et radotage d’illuminés.

Je passai moins de temps à prier, je ne pensais qu’à elle et pour la première fois depuis longtemps, je déposai ma main là où il ne fallait pas, je gigotai de toutes mes forces comme il le fallait et je finissais en beauté en envoyant des salves de foutres au ciel. Des salves blanches de moqueries et d’ingratitude dans la face même du Bondieu. Je l’avais trompé. Premier amour, cela finit toujours mal et ceci même avec un cœur trinitaire.  J’avais oublié que c’était bon et je passais presque toutes mes nuits à renouer connaissance à cette ancienne sensation qui en premier lieu ne compensait pas ma soif de sœur Léane mais la rendait plus cuisante dans ma chair.

Ce jour-là, je sentais que c’était un jour pas comme les autres. J’écoutais la conversation musicale des rossignols perchés tout près de la fenêtre. Un grincement de la porte attira mon attention, une main gracieuse se faufila dans l’interstice suivi du corps merveilleusement bien tracé de sœur Léane, leitmotiv de mes longues éjaculations. Elle venait pour se faire l’imposition des mains. Comme à l’accoutumée, elle s’agenouillait devant moi, je déposai mes mains cette fois non pas sur sa tête mais sur ses seins. Là où c’en était trop. Là où ça débordait trop. Pudique, sœur Léane leva des yeux innocents vers moi. J’eus une  érection de bénédiction. –Oh Pastè, apa w met lapat sou mwen [3]couina-t-elle d’une voix qui me fit dérailler.

Je sentis mon cœur pulsé  du rouge vital qui vint gorger encore plus les compartiments de mon bâton Moïse déjà turgescent. Je lui posai une main sur ses lèvres pour lui imposer silence.

Non, ma sè, jodi an ap gen yon lòt priyè nan kay lan2.

Et sœur Léane se laissa dépouiller de ses vêtements et reçut toute la dimension de mon amour pour elle dans son bas ventre. Chaque pointe que je l’assenai me ramenait petit à petit près du cortège des 24 vieillards ainsi donc plus près de Dieu. Une voile me barrait les yeux, la tête tournée vers le ciel, je nageais dans l’inondation de ses muqueuses vaginales. Galvanisé par cette sensation, je n’entendis pas les plaintes de celle-ci, arc boutée sous moi: « –Wouch pastè« . « Jezi bon papa« . « Maladi an ale wi Pastè. »3

Je sentis une décharge qui prit naissance depuis  et remontait jusque dans mes reins, j’atteignais les devantures du Trône, je tremblai de la tête au pied en essayant de m’accrocher à quelque chose. Je perdis le contrôle de moi-même. Et c’est là que j’ai vu la face de Dieu. Je tombai par  terre en pleine adoration. Face contre terre. Du liquide blanchâtre jaillissant en geyser, tel le bouchon d’un champagne violemment décapsulé. Je maculais de ma semence la croupe encore cambrée de Sœur Léane qui revenait encore gaga d’un lointain voyage orgasmique. Je la remerciais de m’avoir prêté sa chair pour servir ma cause libidineuse. Revenant peu à peu à moi, j’ai cru comprendre que  Dieu pouvait ressembler à toute autre chose sauf à celui que j’avais en face de moi.

Bouffie et graisseux. Non, le Dieu que je me représentais, avait de longs cheveux bouclés et   une grosse barbe blanche. C’est alors que j’ai pu constater que celui que j’avais en face de moi n’était pas lui, ni même ses émissaires. Ce n’était que l’expression horrifiée d’un diacre ayant surpris son pasteur en flagrant délit.

L’église La Foi en Jésus-Christ ne fut plus, avec un pasteur destitué pour perversion et dépravation, un comité dissolu car le peuple les avait tous balancés dans le même sac. A qui peut-on se confier à présent ? Si les hommes supposés représenter la force de Dieu sur terre n’en sont pas digne eux-mêmes. Que dira-t-on à l’égard des loups politiciens qui font des établissements de l’État leurs tanières, qui chassent, traquent en meute et se dispute fielleusement le partage du butin. Des lambeaux de chairs arrachés sur le corps famélique d’une nation qui n’avait que les os et la peau. Leur ultime chance, celle de se tourner vers un être divin, ce dernier espoir qui finit tuer par ces hommes, bible en main, faisant commerce du paradis.

Après cet épisode dégradant, ma vie avait pris une autre tournure. J’étais oublié, abandonné, jeté telle une vulgaire boîte de conserve vide dans un coin. Torchon sale pour le banquet raté du ciel.    Les ténèbres au milieu desquels j’avais été ôté m’embrassèrent à nouveau. Le châtiment idéal pour un homme qui a fait du nom de Dieu un sujet de risée. Je marche dans la nuit pour fuir mon ombre le jour. Ingratitude. Larme. Douleur pour un homme qui a reçu pain et poisson, qui a donné en retour du Péché. Je marche dans la nuit, les pages de ma bible tombant comme des feuilles mortes à chaque foulée qui me conduit vers le confins de mon égarement. Puis, le jour étant venu, je prenais les mains de celle qui devait depuis longtemps m’emmener vers ce si long voyage, Cette dame qui me lorgnait depuis duc d’antan. Celle sans visage dont je pris les mains et marchât côte à côte.

Derrière moi, il y avait un homme qui avait vu une lumière qui aurait pu tout changer. La foi comme le doute. L’intelligence comme l’ignorance. Les cœurs comme les pensées. Cet homme n’espérait plus revoir cette lumière. Elle l’avait banni. Il était le troisième Adam.

 

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Eder Apollinaris S.


[1]     Résistez à la tentation

[2]     Dieu vous bénisse !

        *      Je ressens toujours les flammes de cette maladie surnaturelle.

[3]     Pourquoi avez-vous posé votre main ici ?

        2      Aujourd’hui, nous allons procéder d’une toute autre manière ma sœur.

        3      Cri de Jouissance

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