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Lettre à ma filleule

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Lettre à ma filleule chez les voisins

Parce que tu es là, le monde ne me fait plus peur.

Déjà cinq tours de soleil que nos existences battent la mesure de l’amour et de la joie grâce à ta magie d’enfant. Je prends toujours plaisir à savourer ton rire, admirer ton sourire et ton insouciance face aux bégaiements de l’aube et la taille de tes prochains défis : ces infirmités de la vie, ces mots bâillonnés, tes propres combats, ces catastrophes qui nous cognent de partout… Je ne veux pas te mentir déjà, te disant que tu ne seras pas seule. Tu le seras parfois, peut-être souvent mais nous serons là aussi pour toi. Chacun est seul à sa manière et c’est dans la solitude qu’on se reconnaît, qu’on se retrouve.

Tu nous manques, à maman et à moi. Je t’ai aimée sans t’avoir connue et ce qui me lie à toi est indicible. Dès que j’ai su que tu étais là avant même d’apprendre que j’aurais l’honneur d’être ton parrain, je t’ai aimée. Je me rappelle quand je t’ai tenue dans mes bras pour la toute première fois, quelque chose m’a soufflé que tu étais ma fille.

Ma filleule, tu es née dans la douleur et dans la joie. La joie pour nous de t’accueillir sur cette terre qui ne te mérite même pas, et la douleur de ta mère qui a beaucoup souffert. On a dû t’enlever de ta place avant la date prévue. Prématurée tu es, dit-on.

Sache que je t’ai donné l’un de tes prénoms : le plus original, tu l’auras compris.

Chérie, ton parrain est un homme qui porte ses erreurs et sa fierté en lui comme deux enfants. Je ne sais pas mais je nourris de grandes ambitions pour toi. L’une des plus belles leçons que je pourrais t’enseigner, c’est sans doute la patience dans le travail. Pour te dire que la chenille attend en chrysalide avant de devenir papillon. Je n’aime pas l’étiquette de modèle mais j’ose croire que tu pourras apprendre de moi, de mes erreurs et t’inspirer de mon chemin qui continue. J’espère te prouver par ma vie que tant de choses sont possibles même pour celui qui ne part de rien.

Je voudrais m’assurer comme Jacques Stephen Alexis que ton « intelligence ne se rouille pas comme un clou » et que tu ne « deviennes pas méchante sans le savoir. » Je voudrais te transmettre cet amour des livres, t’aider à les adorer.

Il faudrait un jour que je te parle de mes nuits ouvertes et de mes journées fermées, de mes lieux de création, de moi. Tu liras peut-être plus tard quelques mots que j’ai laissés dans mes feuillets, dans les entrevues. Mais je voudrais qu’un jour on puisse s’asseoir à deux dans un jardin pour causer et que tu m’interroges à ton gré. Je te préparerai à manger, ou rien qu’un café et on parlera des heures. Je ne sais pas si je serai déjà vieux ou un jeune adulte croulant sous le poids de ses responsabilités. Je voudrais te laisser toucher mes fissures avec tes doigts, ne pas te cacher mes chutes ni mes échos pour que tu saches qu’un humain est un humain quels que soient ses succès ou échecs.

Te dire que l’éducation, le pain de l’instruction que t’offrent ton père et ta mère sont le plus important héritage. T’inculquer les valeurs qui s’effritent aujourd’hui. Tu auras évidemment droit aux erreurs, tu feras tes propres choix mais en connaissance de cause. Tu seras aimée comme tu l’es maintenant. Tu apprendras certainement que le monde est cruel, que les gens ôtent la vie pour dix sous, qu’ils se prennent pour Dieu, juge, inquisiteur, que les hommes se font la guerre. Mais tu apprendras également que l’humanité est capable du meilleur, que des parents se sacrifient souvent pour leurs enfants -comme mon père, comme ton père -, qu’il existe encore des gens bons au mitan de toute la merde de ce monde.

Tu ne seras pas immunisée contre les horreurs du monde, et ce sera bien car il faudra que tu t’indignes face à l’injustice, face à ce qui doit nous révolter. Tu pleureras pour cette petite fille qui n’a ni toit, ni parent. À l’opposé, tu t’émerveilleras aussi face à la fleur qui s’ouvre comme nous l’avons fait pour tes sourires, tes éclats de rires, tes premiers babillages, tes premiers pas. Et puis, tu devras t’ouvrir à la beauté, à l’amour.

Tu trouveras peut-être que je suis loin de toi, que je n’appelle pas souvent. Tu sauras aussi que c’est une marque d’amour chez moi : je n’encombre pas les gens que j’aime de ma présence. Ma mère te le dira.

Je ne sais pas ce qu’ils te diront sur ton pays là où tu es maintenant. Laisse-moi te dire que tu viens d’un pays fier, malgré ses problèmes. Sache que dans ton sang coule celui de Dessalines, de Sanite Belair… Sache que nous avons marqué l’histoire. Je ne sais pas comment ils te regardent déjà de l’autre côté de l’île, mais rappelle-toi en tout temps que tu es merveilleuse. Tu grandiras peut-être avec plein de doutes sur ton pays, sur ton origine, sur tes parents, avec des questions que tu n’oseras peut-être pas formuler.

Enfin, je suis un homme en construction, un chantier vivant. Je ne sais à quelle phase de mon développement je serai quand tu pourras comprendre ces propos, pénétrer le sens de cette lettre. Mais je voudrais qu’en grandissant tu sois fière de ton parrain, que tu sois enjouée lorsque je t’appelle ou que tu m’appelles. Je voudrais nourrir cette complicité entre nous pour que tu saches que ton parrain reste tout près de toi, peu importe la distance.

Witensky Lauvince


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2 commentaires
  1. Pradley Vardly Vixama dit

    Bon travail, Lauvince!

  2. Ansky Hilaire dit

    « Je n’encombre pas les gens que j’aime de ma présence. Ma mère te le dira. »

    🙌

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