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Un dernier pour toi Amalya

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Un dernier pour toi Amalya 

J’aurais pu courir la nuit. Rattraper un pan de ta robe. La rouge. Celle que tu aimais tant. Et que tu portais si souvent. J’aurais pu te suivre. Un pied devant l’autre. Pas à pas. Sans faire de bruits. Sans te détourner. Juste te suivre. Là-bas. Jusqu’au perron. Et peut-être, dans un dernier geste, tendre ou furtif, qu’importe, tu m’aurais laissé un souvenir à chérir. Qui n’aurait pas daté de trop longtemps. Pour me tenir chaud. Pour me rassurer. Car, les pierres sous mes pieds, il me semble qu’ils dégringolent. Et toi, tu es partie. Sans me le dire. Oui, j’aime le noir; tu le savais. Mais savais-tu aussi qu’il est plus lourd à porter pour le deuil?

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Les détonateurs claquaient violemment. Les balles chantaient. La meute de chiens, qui habituellement, viennent se poser au bas de mes escaliers; hurlaient à tue-tête. Ce soir-là, ils ne se chamaillaient pas. Les mâles ne grondaient pas non plus. Ni ne mesuraient leur force. En montrant leurs crocs. En bondissant sur leurs deux pattes antérieures. Comme pour broyer leurs proies. Ou pour se détirer. Ils hurlaient tous. À fendre la lune. À faire fuir les étoiles. Ils hurlaient comme si dans l’ombre de la nuit, s’avançait, imposant et farouche, un imminent danger. Ils hurlaient pour l’intimider. Ils hurlaient pour qu’à eux tous, ils soient plus forts. 

Moi, j’attendais. Ou j’espérais. Un miracle. Une bonne nouvelle. Le coup de fil. La voix de ma mère. Pour me dire que je n’avais plus à veiller. Que je n’avais plus à prier. Que la semaine prochaine, nous serions tous là, autour de grand-mère Liss. À sortir des blagues nulles. À entendre pour la énième fois les histoires de grand-père. Moi, quand j’étais caporal.  Et toi, tu aurais débité, entre deux rires, la phrase d’après. Pour prouver à grand-père que cette histoire, nous la connaissions tous. Depuis l’enfance. Et moi, gaga de mon caporal, je lui aurais dit de ne pas te prêter attention. De continuer. Parce que l’histoire, il faut se la rappeler. Tout le temps. Il aurait souri, mon caporal. Mis son bras gauche autour de mon cou. Et comme un geste, longtemps répété, j’aurais déposé ma tête sur ses genoux. Puis, nous l’aurions entendu. Plus d’une fois. Ses frasques. Ses exploits.

Le coup de fil, il est venu. À deux heures du matin. Je l’ai senti. Au silence de ma petite soeur à l’autre bout du fil. Ses hésitations. Ses bégaiements. C’est comme si elle cherchait les mots les plus justes pour me l’annoncer. Alors qu’il n’y avait aucun mot juste pour le dire. Tu étais partie. Je l’avais compris. Sans un mot, j’ai aussi raccroché. Puis, les yeux rivés au plafond; le temps s’était suspendu pendant cinq ou dix ou peut-être vingt secondes. Il s’était tout simplement arrêté. Je n’ai senti aucun de mes membres. J’étais paralysée. Clouée au lit. Mon cœur, il ralentissait. Et j’ai cru comprendre que la douleur, comme une haute tension, elle pouvait tuer.

Le jour s’était levé. Et derrière mon chagrin, le soleil s’était voilé. Je n’avais point bougé. Aucune larme ne suintait de mes yeux. Dans ma tête, je répétais sans cesse. Partie. Morte. Décédée. Partie. Morte. Décédée. Je voulais que mon corps y réagisse. Qu’il soit secoué. Parce qu’il faut pleurer ceux qui sont parti.es, non? 

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Trois mois avant toi, Jasmine aussi était partie. Une balle en pleine tête. Le corps tortillé sur le macadam. Seule. Sans personne pour lui tenir la main. Et toi, tu disais ne pas vouloir partir comme cela. Trop peur de la solitude. Toi qui aimais la foule. Sentir le rythme des choses. Peser le poids des pas sur le sol et les battements des cœurs que tu croises. Tu disais que l’adrénaline revivifie. Qu’être vivant c’est ne pas être dans la mesure. C’est s’élancer dans la course et sentir son cœur exploser. Tester la limite.

Pour Jasmine, j’ai eu de la rage. Je n’ai pas pu lui dire au revoir. Une balle en pleine tête. Une balle perdue. Une balle anonyme. Elle méritait mieux. Martissant nous l’avait juste pris. Comme cela. On n’a jamais su son dernier mot. Était-elle effrayée? Avait-elle eu peur? Avait-elle retenu son dernier souffle? Avait-elle cru que dans une énième diligence, sa vie pouvait être sauvée?  Ou celle de son bébé? Je ne le saurai jamais. Et pourtant la nuit, je la revois sans cesse. Je l’imagine, son bébé dans ses bras, la berçant tendrement. Une fille. J’aurais aimé qu’elle ait une fille. Une boule tout mignonne. Ankara. J’en aurais été gaga. Raide dingue. Je l’aurais materné. Couvé. Je l’aurais aimé comme jadis Jasmine m’avait aimé. Sans doute plus. Ankara.

Juste trois mois. Trois mois. 

Je n’étais pas prête. Je ne l’aurais jamais été de toute façon. Personne nous apprend à être prêt pour le grand voyage. On improvise juste. On lâche-prise. Fini le combat. La lutte. 

Tu es partie comme toutes les autres. Grand-mère Ann. Tatie Ross. Jasmine. Nirva. Sans le dire. Je croyais que tu allais t’en sortir. À nouveau. Un troisième coup de ciseau. Après, tout ira bien. C’est le médecin qui l’avait dit. Un troisième coup de ciseau. Après tout ira bien. Il a peut-être menti. Ou peut-être que toi tu en avais marre de te battre contre lui.  J’aurais aimé que tu m’expliques. Sur cette table froide. La poitrine ouverte, avais-tu senti ton cœur se lâcher? As-tu su que le moment, il était arrivé, dès que tu étais rentrée dans cette salle d’opération? Qui d’entre-elles t’attendait à l’autre bout du tunnel; là où la lumière aveuglante t’aspire à jamais? Grand-mère? Je parie que c’est elle. Elle a marché avant toi. Et comme dans la vie d’avant, elle nous avait toujours tenu la main; dans celle d’après, je l’imagine pareillement.

                         3

Tes funérailles ont eu lieu un samedi. Un samedi matin de très tôt. En petit comité. Comme tu l’avais souhaité: pas d’éloges funèbres. Aucune litanie traînante. Une cérémonie simple. Émotive. Sans niaiseries. Des pleurs, par contre, il y en avait plein. Tu n’étais pas là pour me dire d’arrêter de chialer. Je n’ai pas voulu de compagnie, non plus. Seule sur un banc, je t’ai donc pleuré en silence. Puis, comme toute la famille, je t’ai allumé une bougie. Je n’ai pas prié dessus. Je t’ai plutôt lu un poème. Un dernier pour la traversée. Un dernier pour ce cancer du sein qui t’a saigné. Un dernier pour les grands moments de ma vie que tu vas rater. Un dernier pour mon premier roman que tu ne viendrais pas te procurer. Un dernier pour ce chapitre entièrement consacré à toi. Un dernier pour mes enfants que tu ne verras pas. Que tu ne pourras pas couver. Avec lesquels, tu ne pourras pas jouer. Un dernier  pour ma fille  que j’appellerai Astrid. Comme tu disais vouloir appeler ta fille, à toi. 

Un dernier pour toi Amalya. Partie trop tôt.

Jessie Lisa A.R Tataille 

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