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Pasteur Casmudin ou quand Dieu se fait arnaquer

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Pasteur Armoc Casmudin ou quand Dieu se fait arnaquer

 

Vous n’êtes pas sans savoir que le Coronavirus est classé, selon l’OMS, comme une pandémie mondiale, vous devez à tout prix suivre les conseils d’hygiène qui consistent à vous laver fréquemment les mains. c’est dur, il est vrai mais c’est notre seul moyen de combattre cette maladie. Restez chez vous pour éviter toute contamination.

 

  • -Oky Jems est un sacré numéro. Vous vous rendez compte ! ce mec devient amnésique au début de chaque année. Et par quel procédé cela lui arrive-t-il ? Eh bien, parce que c’est le temps du carnaval ! Et, une fois le carnaval terminé, qu’est-ce qu’il fait ? Il revient dans son assemblée, demande pardon à Dieu, réclame une prière pour son âme, et voilà, il regagne le droit chemin. Oky Jems est fort, très fort. Il a eu le culot de faire une vidéo de carnaval avec un maillot portant pour inscription : Wè pa wè, Jezi ap retounen[1] ! Je dois vous dire que des baratineurs, j’en ai vus dans ma vie, mais cet homme-là, c’est le summum de la chose. C’est ce qui se fait de mieux en matière de bluff et d’escroqueries. Mon Dieu, quel excellent acteur !

Samedi après-midi, rendez-vous quotidiens des tafyatè[2] de la zone. Bon-Repos a connu des ivrognes, mais jamais dans la trempe de ceux-là. Tous des hommes, la quarantaine dépassée, se réunissant tous les jours pratiquement pour déblatérer conneries après conneries, racontant des vies qu’ils n’ont jamais vécues, se mentant autant à eux-mêmes qu’aux autres. Ces hommes-là n’ont d’autres métier que celui de raconteurs d’histoires. Mais que fait un homme qui n’a justement rien à faire ? Il espionne, il s’immisce dans les affaires des gens, raconte des choses qu’il n’a jamais vues, cancane sur les femmes, vante un monde qui n’est plus, celui où l’homme, tout puissant, reléguait la femme au rang d’objet. Ah que l’on entend des discours sexistes dans la bouche d’un ivrogne ! Son échec est toujours dû à la trahison d’une femme. «  Antoinette s’est sauvée avec mon argent », « cette pute m’a trompé avec un paranòy[3] du quartier », « c’est à cause de cette salope si j’ai tout perdu ». Les femmes sont la source de tous les problèmes, et la solution aussi…

Marion, Léon, Richard, Patrick, Prévilon, Bòs Djo et Ti Blan. Cet après-midi, le groupe est complet. Ils ont reçu du maire plusieurs caisses de bière pour je ne sais quelle raison mais un fait est certain, ils comptent boire jusqu’à la lie. En général, ils ne s’arrêtent que lorsqu’il n’y a plus rien à boire. Aujourd’hui sera un jour comme les autres, ils raconteront des bobards, se saouleront puis regagneront chacun leurs demeures.

  • Tu parles d’Arnaqueur. Vous souvenez-vous de l’histoire du pasteur Casmudin ?

L’odeur des victuailles vint caresser les narines des membres de la petite bande de saoulards, assis sous la devanture d’une maison. Les marchandes de fritay, de Barbecue et de pica pollo s’activaient à cœur joie, installés à même le trottoir. Les clients ne tarderaient pas à venir. En face de là où ils sont installés, un homme, en guenille, l’air penaud, ressemblant à un fou, ramassait tranquillement des bouteilles en plastique et les plaçait avec beaucoup de minutie dans une vieux djakout déchiré et usé par le temps et les mauvaises expériences.  Il semblait dans une autre planète et les passants ne l’accordaient non plus aucune attention.

C’était Ti Blan qui avait posé la question au groupe. On l’appelait ainsi à cause de sa couleur de peau. Il était le fils d’une prostituée dominicaine et d’un haïtien. Ti Blan n’avait jamais connu son père. Il s’en foutait de toute façon. Père de huit enfants, il était un ferme adepte du dicton : « pitit se richès malere[4] »

  • Non, firent en chœur le groupe. Raconte-la-nous donc. Je suis sûr qu’elle est marrante.

Il respira un grand coup et kaga d’un trait sa bouteille de bière. Alors il commença son histoire :

  • Tout a commencé après le goudougoudou[5]. L’histoire se passe à Canaan. Vous savez, à l’époque, ce n’était point le canaan que vous connaissez aujourd’hui. C’était certes le même désert et la même poussière mais la populace qu’il y a maintenant n’avait pas encore débarquée. Nous sommes au mois de février 2010. Voilà un mois depuis que le séisme a fait ce qu’il a fait et le sentiment de désolation regnait encore dans le cœur des gens. Vous-vous rappelez de cette époque les mecs ? (Tous secouent la tête avec consternation, Ti Blan poursuit son récit) Au milieu de ce foutoir, surgit un sauveur : Le pasteur Armoc Casmudin.
  • Et je suppose qu’il n’était pas réellement un pasteur ? demanda Léon.
  • Se bagay sa m pa renmen avè w la wi Léon ! Tu es toujours pressé à poser des questions. Attends la suite, gros malin !

Et il poursuit :

  • Vous savez, il y a plusieurs types de pasteur : Il y a ces hommes, qui, décidés de travailler comme ministre de Dieu, intègre l’école de théologie, passe plusieurs années à étudier les livres saintes. Ensuite, ils rejoignet une congrégation. Tout ça, c’est l’ordre et le principe. Il y a également ceux, qui, sous prétexte d’avoir reçu un appel, se disent pasteur et se dégotent des brebis qu’ils entuberont tout le long de leurs ministères. Il y a aussi la catégorie de ceux qui le deviennent par nécessité ou par adaptation. Armoc Casmudin faisait bien partie de ce dernier groupe. Bel homme, dans la trentaine, excellent communicateur, il avait tout pour plaire. Toutes les nuits, sous les tentes de fortune, Casmudin prêche la bonne nouvelle, il rappelle aux hommes et aux femmes le sens de leurs existences et la chance qu’ils ont d’être encore en vie. « Si Dieu vous a épargnés, c’est parce qu’il a un solide plan pour vous. Suivez-le, et vous saurez ce qu’il a dans son dépôt pour votre âme ». Bientôt, Casmudin devient une sorte d’idole et de héros local. Il a le Saint-Esprit en lui, disent les gens. C’est Dieu qui a envoyé ce jeune homme pour nous montrer la voie.

Il marqua une pause, débouchant une autre bouteille de bière. Il en but la moitié et reprit son histoire :

  • Les jours s’ensuivent. Casmudin possède désormais une assemblée dont les rangs grossissent jour après jour. Les plus sceptiques finissent par se faire prendre. Cet homme connait la parole de Dieu. D’ailleurs, ne serait-il pas le nouveau Moïse chargé d’emmener le peuple vers Canaan ? Sauf que, ce Canaan, il n’a rien à voir avec celui de la bible. Ici c’est triste, déprimant, rocailleux, poussiéreux. Mais de quoi je me mêle, je suis en train de m’égarer… Les services deviennent plus fréquents. Lundi, jeûne de prière. Mardi, jeûne de délivrance. Mercredi, c’est la grande prière consacrée exclusivement à ceux qui recherchent un travail. Le jeudi, il impose les mains aux malades, aux infirmes et chassent les mauvais esprits rebelles, refusant de quitter la tête de pauvres âmes en détresse. Le vendredi est le jour dédié à l’étude de la parole de Dieu. Le samedi, il dirige la répétition de la petite chorale de l’église, parce que bien sûr, il est aussi un très bon musicien. Le dimanche, bien évidemment, c’est le grand service d’adoration. Casmudin sait parfaitement ce qu’il fait. Il sait que pour manipuler les gens, il faut les enchainer à cette idée de Dieu. Il faut tout faire pour que toutes leurs vies se résument au temple et à la parole divine. L’assemblée ne fait que grossir. Bientôt, Casmudin se voit confronté à une terrible réalité : Il lui faut construire un vrai temple. Un très grand temple !
  • Et il l’a construit ?
  • Marion, kè w cho papa ! Poze san w gason m.[6] J’y arrive justement! Vous vous en doutez certainement, le temple ne va pas se construire tout seul. Il faut de l’oseille pour cela, beaucoup d’argent. Alors, le pasteur Armoc Casmudin part en croisade auprès de ses fidèles. « Mes amis, il faut cotiser, Il faut donner, mais je vous en prie, donnez bien. Dieu n’est pas un cireur de bottes, qu’irait-il faire avec vos cinq gourdes et dix gourdes ? Non mes frères et sœurs dans le seigneur, il faut des billets, des Hyppolites[7] et des Benjamin Franklin ! Ah, si vous savez combien il est agréable et fructueux pour celui, qui, conscient du siècle dans lequel il vit, n’hésite pas à donner pour l’avancement de l’œuvre du Christ ».

« Et, tel un serpent, jour après jour, le pasteur rampe subrepticement dans la tête de ses brebis. Il les empoisonne de vaines paroles. « Dieu vous rendra en centuple ce que vous avez investi dans son œuvre. » Foutaise, Foutaise, le pasteur Casmudin n’avait d’ambitions que d’arnaquer Dieu. »

Il partit d’un fou rire. Le rire d’un tafyatè : incontrôlable, démentiel, un rire fêlé, un rire où bavées et alcool s’entremêlent. Un rire choquant, rempli de malice et exaspérant. Lorsqu’il finit par se calmer, il finit sa bouteille et en ouvrit une autre.

  • Ah, quel homme intelligent, ce Casmudin, s’exclama Patrick.  Je ne vous le cache pas, messieurs, J’aimerai bien être à la place de cet homme !
  • J’espère que tu voudras toujours l’être à la fin de cette histoire, ricana Ti Blan. Bon, ou j’en étais ? Oui… Un dimanche matin, Le Révérend Pasteur Armoc Casmudin présente à son assemblée le plan de la construction de l’église. Les fidèles sont en liesse. Ils auront la plus belle assemblée de tout Croix-des-Bouquets. Le pasteur confie, avec une assurance certaine que les travaux débuteront dans exactement un mois. Jamais la Kòlèt[8] n’avait été autant fructueuse. Les fidèles ce matin-là, joyeux et enjoués, donnèrent tout ce qu’ils avaient. Une dame, rempli du Saint-Esprit, promit de vendre deux de ses cabris les plus gras et donner tout le montant récolté à l’église. Ce qu’elle fit la semaine suivante.

Ti Blan se tut quelques instants, s’assurant d’avoir l’attention de toute la bande d’ivrognes. Mais qu’il pouvait être pédant quand il le voulait ce Ti Blan, lui qui était passé maitre dans l’art de conter les histoires, aussi fantastiques que sordides. Pour cinquante gourdes de clairin, ce malheureux n’hésiterait pas à te faire une journée entière en te racontant des bobards. Il passa une main dans ses cheveux mal coiffés, puis reprit :

  • Mezanmi, nou pa mande m koze[9] ! Le pasteur annonça aux fidèles qu’il avait été convié pour présenter l’homélie de circonstance dans son ancienne église. C’était la première fois depuis toujours que le pasteur Casmudin s’absenterait un dimanche matin. Il laissa des consignes pour le service, mais rien n’était pareil. Son charme, sa voix imposante, ses prédications… tout cela manqua fortement à l’assemblée, entièrement addicté par ce bel et sage homme. Sauf que voilà, le pasteur ne revint pas. Un jour, deux jours, cinq jours, une semaine. Quelques fidèles eurent l’idée d’aller fouiner dans le petit Shelter dans lequel vivait seul le pasteur, il était vide ! Il n’y avait plus rien. Tous les meubles avaient été déplacés. Le pasteur s’était fait la malle avec l’argent des fidèles !
  • Anmwey ! Les hommes poussèrent un cri d’exclamation. Ti Blan poursuivit :
  • Je n’ai pas les mots justes pour vous décrire le désarroi de l’ancienne troupe du pasteur Casmudin. D’abord, ils élaborèrent des théories du complot : Un groupe d’infâmes aurait enlevé le Révérend pasteur parce que ces derniers, jaloux de son ascension, ne voulaient pas qu’il continue à propager la parole du Christ. Ils restèrent donc là à attendre un appel des ravisseurs, s’entendant déjà à payer n’importe quelle somme pour sauver le pasteur. Mais la vérité, si elle prend du temps pour s’installer, elle finit toujours par faire ce qu’elle fait de mieux : éclater et choquer. Le pasteur avait posté sur un compte facebook au nom de Rodilas Ramel une photo le situant au Brésil. Ce fut là le second choc pour les fidèles, pleurant nuit et jour la trahison de l’homme appelé à les sauver et à les mener vers Dieu !

Satisfait de son récit, Ti Blan, se mit à boire bière après bière, heureux et fier de lui. Richard, l’air un peu déçu, lui demanda :

  • Alors, le salaud s’est tiré comme ça ? Il a pris l’argent des honnêtes gens et il est allé se la couler douce au Brésil ? Ton histoire est une histoire injuste, Ti Blan !

Ti Blan ricana, montrant des dents jaunes mal entretenues et mal alignées.

  • Qui a dit que l’histoire était finie, Richard ?
  • Alors achève là. Qu’est-il arrivé à ce voleur de Casmudin ?

Ti Blan se gratta la tête. Allait-il mentir ? Personne ne saurait si la fin qu’il donnât à cette histoire fut vraie. Toutefois, voilà comment l’achevât-t-il : longeant la main vers l’homme en guenille d’en face occupé à ramasser les bouteilles, il déclara :

  • Le voici, votre pasteur !
  • Hein, firent la bande, sous le choc de la révélation. Tu nous racontes que de la merde, Ti Blan !
  • Je suis plus que sérieux messieurs, fit-il, ayant regagné de l’assurance. Cinq mois après, le pasteur Casmudin ou Rodilas, appelez-le comme il vous plait, atteint d’une soudaine et étrange maladie, demanda expressément qu’on le ramène en Haïti. À son retour, il n’était plus le même homme. Il était atteint d’une folie. La rumeur raconte que les fidèles de l’église avaient fait une coalition pour demander jistis[10] à Dieu pour tout le mal que le pasteur les avait infligés. Mais, la dame qui avait vendu ses deux cabris, décida que tout cela se passerait autrement. Elle alla voir un hougan et lui exposa son cas. La même rumeur raconte que c’est elle qui a rendu fou cet homme.

Les hommes restèrent dans un silence choquant. Ils regardèrent longuement cet homme qu’ils avaient depuis si longtemps l’habitude de voir. On l’appelait Roro dans les parages. Le vieux fou continuait sa besogne, ramassant lentement les bouteilles et les rangeant dans son vieux sac. Au bout d’un instant, levant les yeux, il se rendit compte qu’il était devenu le centre d’attention des hommes en face de la rue. Méfiant, il agrippa fermement son djakout et s’en alla, la démarche fière et altière.

  • C’était l’arnaque du siècle, conclut Ti Blan. Mais la morale de toute cette histoire, c’est que Dieu pardonne, mais les hommes, non !

Pradley Vardly Vixama


[1] Quoi qu’il advienne, Jésus reviendra.

[2] Terme créole désignant un ivrogne

[3] Terme créole pour qualifier une personne qui passe ses journées à ne rien faire (néologisme)

[4] Proverbe que l’on pourrait traduire de la sorte : faites beaucoup d’enfants, ils finiront par vous extirper de la misère que vous vivez.

[5] Terme créole qui désigne un tremblement de terre. Ici, l’auteur fait allusion au séisme meurtrier du 12 janvier 2010.

[6] Marion, tu es trop pressé de savoir. Calme-toi mon vieux !

[7] Billet de mille gourdes haïtien

[8] Terme créole pour designer l’offrande qui se fait dans les églises protestantes et catholiques.

[9] Mes amis, c’est moi qui vous raconte l’histoire. (Expression généralement utilisée par les conteurs afin de capter l’attention de leur auditoire)

[10] Justice

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2 commentaires
  1. Safara dit

    J’aime bien la fin je ne m’y attendais pas men mwen gen lenpresyon istwa a t ap pi kaptivan si li te an kreyòl.

  2. Lovna dit

    Alors comme par hasard le pasteur s’appelle Armoc Casmudin 😂😂😂😂😂

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