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Une âme seule

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Une âme seule

Je n’aurais jamais imaginé qu’on pourrait devenir une référence à un certain âge. J’ai connu tant de cimetières que je crois déjà habiter le boulevard des allongés. Du lever du soleil à son coucher, des larmes se glissaient sur mes joues hideuses et j’ai passé le reste de ma vie à écouter le son de la cloche de l’église et les fanfares avec ce même sentiment de chagrin qui envahit le cœur quand les gens qu’on aime se retrouvent dans le deuil.

J’aurais aimé m’entendre dire qu’on ne peut pas s’habituer à l’absence d’un être aimé avec le temps comme un panneau de signalisation sur la route nationale, quand sa présence aurait dû être inévitable. 

Cette petite maison près de la Co-cathédrale au cœur du chef-lieu du département des Nippes était animée par deux bougies depuis une quarantaine d’année : Franck et moi. Aujourd’hui, la ville me semble figée dans le temps. Je continue à regretter ce que je n’étais pas et tout ce que j’aurais voulu être, rien que pour lui mais l’horloge humaine est machinalement chronométrée. 

Tout a commencé par une matinée fraîche. Je le regardais, debout de l’autre côté de la rue. Non, je le dévorais plutôt du regard sans qu’il ne puisse s’en apercevoir. Assise à une table sous le manguier d’une terrasse, une tasse de café en main, je me régalais et mes yeux ramenaient à moi, en une seconde, autant de douceur qu’un frôlement de chat.  

Il  fallait être fou pour penser que j’avais la moindre chance de tomber sur lui à deux rues de ma nouvelle résidence. Je n’ai pas pu m’empêcher de frémir intérieurement. Il était de retour.   

Quand je suis sorti de chez moi ce matin-là, les premiers rayons de soleil empourpraient le ciel. Après huit heures de sommeil sans rêve, j’étais réveillée d’une étrange sensation de bien-être. La journée s’annonçait radieuse. J’avais l’impression d’être une fleur qui s’ouvre à peine. Depuis mon plus jeune âge,  j’ai toujours adoré le calme et la douceur du petit matin avant de me laisser emporter par les remous de la vie quotidienne. Mais ce matin, tout a commencé peu après m’être assise, les jambes ballantes dans un jeans flare.

Franck et moi, on s’est rencontrés au Lycée Jacques Prévert et j’avais tout de suite trouvé en lui un bon ami avant qu’il soit devenu, à son retour de l’armée, mon fidèle époux.  

Quand ce fulgurant cancer du poumon a eu raison de lui, la mort m’a brisée. On pouvait dire que le temps des larmes s’était usé. Tant qu’il ya la vie, il y a de l’espoir ! Non ? Mais moi, mon unique aspiration prenait chair dans cet homme à qui j’ai donné mon cœur et qui avait toujours su le protéger malgré vents et marées. Celui qui m’a tant de fois sauvée de moi-même !

J’étais une femme mariée et heureuse. La vie m’avait fait cadeau d’un homme aimant, patient. Je ne pouvais rien demander d’autre que de partager le reste de ma vie avec lui, mais la mort en a décidé autrement. 

Depuis, je traverse les rues, seule, pour me rendre à la messe, de peur que personne ne remplace nos habitudes. Je n’aurais jamais imaginé que la mort aurait eu pitié d’une âme mutilée, un corps fébrile et un esprit mêlé comme moi. 

Je sais que je ne suis plus de ce monde, j’attends simplement que mon cœur le comprenne et qu’il me file mon ticket de passage. Après tout, je ne sais comment exprimer ma vivacité si ma flamme s’est éteinte depuis ce 14 juillet.

Tard dans la nuit, quand je pose ma tête sur son oreiller, je repense toujours à notre jeunesse, le jardin botanique où il m’a demandée en mariage et toutes nos traditions. Je ne veux pas penser à autre chose, je ne peux pas passer à autre chose. Le temps n’arrivait pas à atténuer ma souffrance. La mort avait réussi à m’enfermer dans sa spirale. Je n’étais plus la même et les enfants du quartier sont les seuls à le remarquer. 

***

L’isolement était pour moi le seul moyen de protéger mes souvenirs et exprimer ma colère par des sanglots irrépressibles. Après tout ce temps, la force qui m’habitait n’y est plus, l’équilibre me manque. Je continue malgré moi à perpétuer nos traditions. Au soleil levant, je récite des rosaires. Au cours de la journée, je lis religieusement Jacques Romain et les phrases que Franck soulignait sont toutes devenues plus importantes. Une fois la nuit tombée, je m’assois sur une dodine à regarder la ville en écoutant ‘’Kole douvan’’. Cette musique me suit désormais partout où je traîne mon corps.

Je ne peux accepter que le seul homme que j’aime ne soit plus à la maison tandis qu’il m’avait appris à ne pas vivre sans lui. La mort, quand j’y pense, est devenue une amie si fidèle qu’elle m’accompagne même dans mon système de reproduction. Franck m’avait promis d’être toujours à mes cotés, je crois en lui. Pourtant ce matin-là, quand je lui racontais ma journée d’hier à l’épicerie comme on aimait le faire, il ne pouvait plus tenir ses promesses et c’est à ce moment-là que j’avais compris qu’il était déjà passé de l’autre côté. Je refusais simplement d’admettre la réalité tant que je continuais à lui parler en moi.

Franck a tenu ses promesses en quarante ans de mariage mais la mort n’avait pas eu pitié de sa fidèle épouse. Je suis seule, face au mur de notre chambre telle une coquille vide oubliée sous des sables. Je suis une horloge brisée accrochée pour la gloire des ignorants et de la poussière. Il était la vie autour de moi, mon seul ami et mon unique amour.

Il ne m’avait pas prévenue que la mort se pointerait à quatre heures du matin dans notre lit conjugal, qu’une plaie béante me bifferait le cœur et que personne d’autre que lui ne pouvait le soigner. Ma vie s’est transformée en retraite mortuaire. Quand je hurle son nom au milieu des autres partis trop tôt, seul mon écho me revient. 

Il n’est pas assez de larmes pour exorciser ma souffrance. Je cherche encore son odeur sur son oreiller où jadis nous échangions dans la pénombre des baisers enflammés.

Il y a au milieu de mon cœur une très longue fatigue, et les vagues de chaleur qui m’enveloppent tard la nuit m’ont portée à comprendre que je ne peux vivre encore loin de lui. Nos souvenirs me brûlent d’un feu qui doit prendre source au cœur même du soleil. Grâce à lui, j’avais appris qu’une ville peut être embellie par une seule personne. 

Après avoir connu les affres du chagrin, les jours se défilent devant mes yeux et je les traverse avec le sentiment d’attendre que tout recommence ou se termine.  

Je remplis ma vie de lettres pour créer un décor où il pourrait être à mes côtés. Et quand je me sens trop faible pour porter le poids de mes souffrances, je me gave de ses chansons favorites qui regorgent de sentiments pour alléger les pincements de mon cœur.

Quand les souvenirs de son envol se cognent en moi et que l’ombre me gagne, je ne suis que souffrance. Cette empreinte indélébile que je chéris comme une chance demeure la seule chose qui me tient encore debout en espérant que le prochain rêve donnera à Franck la force d’apprendre à revenir pour m’enlacer et m’embrasser. Un refrain qui m’apprend à compter les heures de nous revoir heureux comme avant. 

Je continue de rêver de lui, de son charme, de son sourire et tout ce qui m’avait séduite ce jour-là. Peu à peu, je me rapproche de mon homme et ce sentiment d’apaisement me donne l’impression que quelque chose de mieux nous attends ailleurs. 

Ce matin, la température n’était pas des plus favorables. De mon réveil et au moment de prendre mon café, des siècles ont occupé l’espace. Je me suis assise près de la fenêtre de ma chambre, le vent qui caressait ma peau était à la fois lourd et doux. J’éprouvais un tel bien-être que je me suis surprise à fredonner une berceuse. 

J’ai toujours été quelqu’un de fort. J’ai toujours eu plein d’envies mais je garde en moi tant de colère et de peine que je suis devenue vide de tous sentiments. Je hais ce monde dans lequel je me suis retrouvée.

Quand la nuit enveloppa le ciel, j’étais déjà en chute libre, mes yeux ne supportaient plus les lignes et mon cœur frissonnait furtivement. Il n’y avait que les aboiements des chiens du quartier qui permutaient mon silence. 

 Je laisse donc égoïstement une phrase sur un bout de papier disant : « Passe me voir à la grange. » C’est l’heure ! Je descends à la grange jusqu’à mon cercueil et je m’allonge. 

À ce moment précis, j’ai la terrible  impression de me retrouver dans une file d’attente, le temps peut-être qu’on invoque Edith Merisier. Je souhaite vraiment qu’elle ne m’échappera pas, cette fois.

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Raphaëla Lemaine

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