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Je n’aime pas les hommes, je n’aime que lui.

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JE N’AIME PAS LES HOMMES, JE N’AIME QUE LUI !

Aujourd’hui c’est mon anniversaire et j’ai vingt-cinq ans. Ce n’est pas tous les jours qu’on atteint le quart d’un siècle et je suis heureux. Quand je suis sorti de ma chambre ce matin, ma mère aussi était heureuse, je la voyais guetter mon entrée dans la cuisine et crier un « Happy Birthday my cookie » dans un anglais qui me fait toujours rire. Elle avait cuisiné, comme à chacun de mes anniversaires, un bon petit plat. Le reste de la journée se différencie des autres jours à de simples détails, comme les souhaits qui fusent de partout et mes potes qui voulaient me forcer à augmenter la liste de mes conneries. Pourtant aujourd’hui, je n’avais pas l’humeur de fête ni l’envie d’exploser de joie, de dépenser beaucoup d’argent à acheter de l’alcool et autres stimulants pour me mettre dans le bain. Je voulais me contenter que de ce dîner avec ma mère pendant lequel elle me raconterait pour la énième fois le jour de ma naissance, où elle ne s’arrêterait de sourire et de me couvrir de ses caresses. Cette impression de grandir était autant excitante qu’effrayante et rester dans ses bras aujourd’hui me rappellerait qu’il existe un moyen de me sentir encore un gamin. Je suis fleur bleue parfois et ça ne me gêne pas.

 J’ai passé la journée enfermé comme prévu, mes potes sont venus me voir et ont ramené beaucoup de merde mais je n’ai pas flanché. Aujourd’hui, je ne voulais faire aucune bêtise alors ils m’ont fait la gueule un moment puis sont partis. Aux environs de dix-huit heures, Harry m’a appelé. Lui, c’est le meilleur des meilleurs, mon frère de cœur, mon meilleur ami, le seul à qui je n’ai pas besoin de parler pour qu’il sache, ni d’expliquer pour qu’il comprenne.

Il m’avait invité à le rejoindre à la Cabana, un club-bar mexicain dont on porte chacun les souvenirs d’une adolescence débauchée. Il m’avait promis qu’on n’en resterait qu’à une bière ou deux, le temps d’une causette et de mater quelques filles puisque je n’étais pas d’humeur à les toucher. Je n’avais pas refusé. Je l’avais rejoint une trentaine de minutes plus tard à la Cabana bondée de gens, tous venus se défoncer la tronche. C’est bien le seul endroit où les riches comme Crésus se joignaient au petit peuple pour s’amuser. La Cabana n’était pas un club comme les autres, il était conçu pour rendre accro ceux qui le fréquentaient. On y retrouve un mélange de culture dans le menu dédié aux boissons, sans pour autant faire abstraction des meilleures du Mexique.

 Une fois arrivé, je repérai la silhouette d’Harry, assis au bar à notre place habituelle. D’ici là, n’importe qui peut avoir une vue directe dans tous les coins et recoins de ce lieu, de l’entrée en passant par le couloir où se trouve les toilettes, jusqu’à l’étage où se situe les chambres qu’on peut réserver à son humble plaisir. Je lui donnai une petite tape derrière le crâne et je prends place à ses côtés. Le mec, ce n’est même pas son anniversaire et il est tellement bien sapé qu’il arrive à me sauter aux yeux. Son style Justin Bieber de ce soir le rendait beau et attirant. 

  • Commande ce que tu veux mon gars ! 

Il m’avait lancé ça en criant pour couvrir le bruit de la salsa que diffusaient les haut-parleurs, tout en ricanant pendant qu’il se délectait d’une bouteille de Prestige. Je fis signe à la serveuse en face de moi, une black curly, qui s’approcha en me présentant aussi ses seins. Je commandai une Negra Modelo, cette bière du Mexique au gout chocolaté dont je raffolais et que je ne trouvais nulle part ailleurs qu’ici. 

  • Alors cette journée, vieux ?
  • Tranquille. Mon père n’a pas appelé comme tu sais déjà. Mais c’était cool.
  • Disons que ton père est un des salauds qu’on en voit un peu partout donc tu ne peux pas laisser son absence te perturber l’esprit, encore moins ses négligences. Jusque-là, tu t’en es bien sorti je trouve. 
  • C’est l’impression que je donne peut-être, mais au fond de moi, je ressens son manque aussi grand que je l’ai senti le jour où il s’est barré. C’est trop bizarre, toute cette histoire aurait dû être rangée soigneusement dans un coin de ma tête, mais je n’y arrive pas.
  • C’est normal, je crois. Tu n’as jamais pu accepter son départ. Voilà pourquoi !  Mais sinon tu t’en fous mec, ta mère est là, et puis cent ans, ce n’est pas cent jours, pas le temps de se prendre la tête !

On avait éclaté de rire. Harry, c’est ce mec capable de modifier mon humeur en l’espace de quelques secondes. Il suffit qu’on se voie, qu’on se tire un bon coup et puis c’est la fiesta.  En tant que meilleur ami, je n’avais pas imaginé le pouvoir que je lui avais donné sur moi, surtout quand il faut me faire changer les idées. On avait bu un coup, porté un toast pour mon anniversaire, rigolé en nous rappelant les quatre cent coups qu’on a faits ensemble au cours des années antérieures, nos galipettes dans cet endroit, puis me regardant droit dans les yeux, il m’avait demandé curieux :

  • Dis, tu sais que c’est l’âge de te trouver une meuf bien maintenant ? Tu n’en as pas une par hasard ?

Je le regardai, ébahi. Harry qui parle de trouver une meuf bien alors qu’il est toujours le premier à se les taper puis se barrer, j’explosai de rire.

  • A vingt-cinq ans Harry, c’est exactement l’âge où l’on n’a pas besoin de se prendre la tête avec des meufs, encore moins avec celles dites bien. Parce que ce sont les plus grandes emmerdeuses, les plus chiantes, les plus connes !

Il sourit. Je poursuivis :

  • Je te rappelle mot pour mot ce que tu as répondu à ton père pour tes vingt-cinq ans !
  • J’ai entendu ça, oui.
  • Tu as une fille bien dans les parages, toi ?
  • Moi ? Mais non, qu’est-ce que tu racontes ?

Je haussai les épaules en commandant une nouvelle bouteille. Harry s’était tu un moment. Les reflets lumineux de la boule de cristal suspendue au-dessus de nous lui donnaient un air sombre, mystérieux et captivant. Ses épais sourcils noirs et ses cheveux de jais me faisaient souvent penser à cet acteur américain : Matthew Daddario.

  • Il faut que je te montre quelque chose. Suis-moi !

Il me fit un sourire en coin et un clin d’œil. Je connaissais trop bien Harry pour savoir qu’il me ferait un truc pas net. C’est le genre à déconner grave surtout quand il ne faut pas. Je le soupçonnais d’avoir réservé une bonita surprise à la dernière minute. Je devrais me rappeler que mon meilleur poto se croyait par moment irrésistible et que tout devrait lui être soumis. J’hésitais entre le suivre et rester cloué sur place. Il me lança des œillades qui, dans d’autres circonstances, m’auraient laissé croire qu’on est complices tous les deux d’un sale complot. Mais en ce moment, je n’avais aucune idée de ce qu’il mijotait, et pour avoir commis de graves infractions avec lui, je savais que je ne devrais pas me fier à ses intentions quand c’est à moi qu’il réserve une surprise. À un moment, j’ai cru le voir perdre toute sa contenance. Je me levai et le suivis entre la musique qui retentissait et des corps qui se déchaînaient un peu partout. On avait grimpé un escalier aux rampes rouges. Je me souviens avoir tapé les fesses d’une serveuse qui offrait à boire à deux gars sur ces marches un des jours où je squattais par ici. Je voulais avoir l’air macho…

Harry me devançait dans un couloir dont les chambres se situaient en parallèle, puis s’arrêta à une porte numérotée 44. Cette chambre aussi me rappelait un souvenir assez récent, un threesome qu’Harry et moi avions fait avec une nana. Une dominicana, bombasse, extra-chaude qu’on a dû payer cher pour environ deux heures maximum. Je n’ai jamais su comment c’était pour lui, puisqu’en y pensant on n’en a jamais parlé, ni fait allusion à ce moment. Je sais simplement que ce jour-là, je suis sorti honteux de la partie pour avoir atteint le summum de l’extase avant même de me mettre en chemin. Pathétique !

Une fois dans la chambre, je m’attendais à trouver un Krèy-On, de l’alcool, des meufs, nos autres potes où je ne sais plus quoi d’autre digne de Harry. Mais non ! Il n’y avait rien de tout ceci, nous étions que nous deux. Rien que lui et moi. « C’est bien Harry, avec certaines fois, une imagination assez débordante ! Je ne m’en étonnerai même pas de voir la porte s’ouvrir à nouveau et de voir des latinas se défiler les unes après les autres en tenues aguicheuses. », me dis-je. Je détaillai la pièce carrée, simple, avec un lit en bois, une petite table, un climatiseur et un flat screen accroché au mur ; c’était un endroit sympa.

  • Alors, tu voulais me montrer quoi ?
  • Une minute ! Donne-moi juste une minute !

Je m’affalai de tout mon poids sur le lit. Harry se dirigea derrière une porte qui n’était autre que la salle de bain, puis revint, dans sa main une enveloppe blanche qu’il ouvrit. Je le sentis nerveux, comme si le Harry que je connaissais, trop sûr de lui, s’était transformé en de véritables légumes cuits ; il perdit à la seconde toute son assurance. Il prit le morceau de papier à l’intérieur, le déplia puis me regarda. Gêné, mal à l’aise, il laissa son regard parcourir les coins de la pièce, à la recherche de quelque chose à s’y accrocher, puis se racla la gorge à plusieurs reprises. Je souris malgré moi, perplexe, puis l’idée de lui arracher la feuille de ses mains me tenta. Mais je lui laissai le temps de se décider à prendre la parole, impatient.

  • Tommy ! Mec, je sais que je suis pour toi ce frère que tu n’as jamais eu, et je dois dire que c’est pareil pour moi. Tu vois, t’es mon pote et honnêtement, je ne sais pas si le moment est bien choisi, mais tu vois mec …

Sans le vouloir, j’éclatai de rire ! Cela me rappelait une mauvaise blague qu’on avait faite tous les deux à un camarade de classe. Ça remonte à très longtemps, dix ans environ. On rentrait à peine en classe humanitaire et Harry le détestait comme pas possible. Une haine qu’il n’arrivait surtout pas à justifier. Il le traitait de tous les noms, tant que ça pouvait le martyriser psychologiquement, mais je jurais que ce camarade prenait plaisir à cette haine que lui vouait Harry, il faisait en sorte de toujours se trouver dans sa ligne de mire. Et un jour comme deux gros cons, Harry et moi avions écrit une lettre que celui-ci a lue et que j’ai mimée au beau milieu de la salle de classe, en faisant croire à tout le monde que notre camarade était un pédé et qu’il fantasmait sur un des bourreaux qui lui cassa la figure après notre mascarade.

  • Mec, qu’est-ce qui te prend ? Tu ne m’as pas fait venir ici pour me lire une lettre ? T’es sérieux ? Vas-y, donne ! Donne-moi ce papier !
  • Enfin si… Non, au fait je voulais te dire que… (Il inspira fortement) je suis gay Tommy !

Je me marrai à nouveau. Tellement, qu’une larme roula sur ma joue. J’attendais de le voir se marrer à son tour, se foutre de ma gueule comme il en a l’habitude, ce sale petit morveux qu’il est, de me raconter des salades comme celles-là. Plus j’attendais, plus ses propos n’avaient rien de drôle et devenaient tout à coup dépourvus de sens. Je scrutai son visage et j’arrêtai de rire. L’inquiétude, la honte que j’y lisais, me consternèrent à un point que j’eus des frissons. Foutaise ! Harry grand coureur de jupe devant l’éternel, Harry dont le palmarès ne pouvait plus contenir les conquêtes affilées, Harry qui m’a appris à connaître les filles plus tôt qu’il n’aurait été. Cet Harry dont Casanova n’arrivait même pas à la cheville, était tout, playboy, briseur de cœur, tout, sauf gay ! La chambre s’était rétrécie autour de moi et si je n’étais pas d’avance assis sur le lit, sûrement je serais parti en trombe, mais là j’étais assez tétanisé par son aveu pour oser bouger le petit doigt. 

  • Dis quelque chose Tom ! Je t’en prie…

Je n’avais aucune idée de ce que je devrais lui répondre, je n’y croyais tout simplement pas ! Harry court trop après les meufs pour pouvoir aimer les hommes. C’est certain, c’était une putain de mauvaise blague que je ne digérais pas cette fois. Puis il y a ce doute qui vint s’installer dans ma tête et me turlupiner. Harry n’est jamais sorti officiellement avec aucune meuf et moi non plus, mais ça c’était le principe de playboy qu’on avait instauré entre nous. Chacun aurait suivi l’autre jusqu’au bout de la terre pour se taper des meufs s’il le fallait, c’est ce que je croyais jusqu’à ce soir. Il m’entraînait toujours dans des plans à trois ailleurs où il n’y a toujours qu’une fille à se balader entre lui et moi, et notre dernier remontait à quelques semaines de cela et ici dans cette maudite chambre. 

  • Depuis quand tu le sais Harry ?

Il s’assit près de moi et j’eus comme réflexe de me lever, ce que je ne fis pas pour autant. Je ne savais pas si j’étais dégouté, ou trop stupéfait mais j’étais en colère.

  • Je l’ai toujours su Tommy !
  • Quoi ? Tu bluffes ! Tu as toujours su que tu étais un sale pédé pendant tout ce temps et c’est maintenant que tu le dis à moi qui suis censé être ton meilleur pote ? Qui d’autre est au courant ?

Il souffla, soupira en tenant sa tête entre ses mains.

  • Après Mike, il n’y a que toi qui le sais !
  • Et c’est qui ce Mike ? Je suis censé le connaître ? 
  • Il était en troisième avec nous et je le détestais beaucoup !

Cette soirée n’avait pas fini de me donner le vertige. Ce mec dont j’avais complètement oublié le nom, ce mec très bizarre, avec son petit côté trop zuzu qu’Harry haïssait pire que le diable ? Au final je ne savais que dalle de mon meilleur ami. Je n’avais pas envie de lui demander comment ça se faisait que ce Mike était son ami, pire qu’il était au courant de son goût pour les hommes, je n’avais même pas envie d’imaginer toutes les possibilités qui puissent exister à travers son récit. Je me levai en faisant les cent pas de long en large dans la pièce. Je n’arrivai toujours pas à croire, comment cela pouvait-il être possible, à mes yeux Harry était ce Steve Stifler dans American Pie. Je m’arrêtai un instant et je plongeai mon regard dans le sien apeuré. Je le voyais différemment maintenant, plus émotionnel, plus fragile.

  • Je n’ai pas besoin de savoir ce que ce Mike vient foutre dans tout ça. Tu t’imagines Harry, pendant tout ce temps, on s’est livrés à une vie dévergondée vieux frère qu’on a tous les deux kiffée. C’était quoi tout ça finalement si tu dis avoir toujours su que tu aimais les hommes ? 
  • Tu resteras sans doute un gros con Tommy. Tout ça, comme tu dis, n’est que l’image d’une société qui ne souhaite qu’une chose, que tout soit exactement comme elle le veut. Vois-tu, tu viens de me traiter sale giton, imagine comment les autres là dehors me traiteraient s’ils arrivaient à savoir la vérité sur moi ?

Ma colère était de plomb et je n’avais nul besoin d’être raisonné. 

  • J’ai besoin de comprendre Harry, bordel ! Comprendre comment tu as pu prétendre être quelqu’un et montrer que tu le vis bien durant toutes ces années et finalement avouer le contraire !
  •  Tu as peur ? Qu’est-ce qui te fait peur alors ? Le fait que je sois homo sans doute, que ton meilleur pote soit un sale homosexuel comme tu l’as dit, et qu’on se serve de cela pour te coller une étiquette qui a priori est dégradante, toi, un hétérosexuel. A vous entendre, on croirait que le fait d’être attiré par quelqu’un du même sexe revient au temps où les lépreux devraient s’isoler pour ne pas contaminer les autres. On nous dit que ce n’est pas normal, que les gens comme moi ne sont pas normaux. Mais dis donc, qu’est-ce qui est normal ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? La normalité est-elle vraiment prédéfinie ? Ne dépend-elle pas d’un espace-temps ? Des circonstances ? Sinon à quoi ça sert aussi d’être normal, d’être sain d’esprit si ce n’est pour enlever aux autres leurs droits à l’humanité ?

Je l’écoutais debout dans un coin de la pièce. Il afficha un rictus qui me troubla puis s’allongea sur le lit, ses bras joints au-dessous de sa tête, admirant le plafond. Je le détaillai malgré moi, ses biceps, son corps, et je repensai à toutes ces filles qui ont toujours craqué sur lui et à moi toute ma vie qui ai toujours vécu que dans son ombre. Je n’arrivais toujours pas à comprendre, c’était irréel que ces aveux puissent être vrais. 

  • Je n’ai pas eu à faire de crise identitaire pour savoir qui je suis. Le problème Tommy, dans une société dont les fondements sont à base hétérosexuelle, patriarcale, machiste, sexiste, il n’y a pas de place pour les hommes différents, on n’en fait pas. Leur principe naturel s’incline sur la création qui ne représente l’amour qu’à l’image d’un homme et d’une femme où le premier se veut être dominateur et de ne prendre pour faible que le sexe opposé. Dans ce cas, l’équation dirait qu’il ne peut y avoir deux dominants. Il subjugue des concepts tous faits, et tout ce qui va dans le sens opposé de leur étroitesse d’esprit Tom ne vaut pas du sucre sur un paquet de merde. 

Il marqua une pause puis continua :

  • Arrives-tu à comprendre au moins ? Comment peux-tu savoir que tu n’es pas homosexuel toi ?
  • La ferme Harry !
  • Parce qu’une fille te fait bander, parce que tu arrives à la baiser en trouvant du plaisir, c’est ça ? Et si tout ça n’est en réalité que l’image d’homme qu’on voudrait que tu aies de toi et non celui que tu es exactement ?
  • Je ne suis pas branché mec Harry !
  • Et c’est ça mon problème Tommy ! De nous deux, on croirait que c’est toi qui es si différent, pourtant !

Je le regardai avec toute l’incompréhension du monde ! Comment ça son problème c’est parce que je ne suis pas branché mec ? Comment se fait-il que je n’ai jamais remarqué le moindre signe qui aurait pu le trahir ? 

  • Comment peux-tu en être certain que tu es un homosexuel ? Y a un truc que je ne pige toujours pas, tu es bisexuel, et non un homo. Sinon comment aurais-tu supporté de baiser des filles et d’y prendre un certain plaisir ?
  • Dois-je vraiment te raconter tout ça ? Es-tu vraiment prêt à cautionner les horribles sensations que tu pourrais ressentir ? Ce flot d’émotions, qui seront pour la plupart écœurantes, vertigineuses, que ma confession déclenchera à coup sûr ?

Je réfléchissais un moment, essayant de calmer mes esprits. Je n’étais pas en colère contre Harry du fait qu’il soit gay, non c’était autre chose, j’étais en colère parce qu’il l’a toujours été et que je ne l’ai jamais su. J’étais en colère parce qu’avant moi quelqu’un d’autre en était au courant, j’étais furax parce que tout ce qu’on a vécu ensemble n’était qu’un faux semblant pour se préserver des regards des autres et par la même occasion, il avait jugé bon que je fasse partie de ces autres-là. Et je pétais surtout ce câble parce que mon regard, mes jugements, tout par rapport à lui venait d’être changé et que l’impression qu’il soit maintenant un étranger me titillait les pensées. Mais autant que je sache tout du début jusqu’à ce jour, s’il a eu assez de courage pour me le cacher durant toutes ces années, je devrais en être capable de posséder tant de courage pour encaisser toutes les émotions de sa confession. 

  • Je veux tout savoir mec !

Il se rassit brusquement, cherchant mon regard de l’autre côté de la pièce. J’aurais dû commander deux ou trois autres bouteilles avant de monter ici, si j’avais su ce qui m’attendait réellement dans cette chambre. Il se racla la gorge, cette manie que je kiffais chez lui lorsqu’il va se mettre dans un monologue pas du tout plaisant. Je tressaillis en écoutant sa voix monocorde qui tremblait légèrement.

  • Au début, c’était troublant et nous n’avions que huit ans, tu avais débarqué au quartier avec ta mère et vous étiez mes voisins, tu étais aussi le seul avec qui j’étais autorisé à jouer à cette époque. Tu me dirais à huit ans, que savais-je de ce que j’aurais pu ressentir ? Mais il y avait ce petit quelque chose qui émanait de toi, une sorte d’onde vibratoire et qui m’attirait telle une force magnétique jusqu’à toi, en grandissant. J’ai tout fait pour l’ignorer, mais elle était là cette chose, lourde en moi, pesant comme un fardeau. J’avais voulu te le dire, mais je ne me souviens pas qu’on puisse aimer quelqu’un du même sexe de cette façon-là. Tu sais ce que nos parents disaient à propos de l’homosexualité, que c’était des personnes possédées par le diable, tu connais déjà la bible et ces histoires les unes plus décevantes que les autres. Cette bible qui a façonné notre société en lui inculquant des tares défectueuses, cette bible dont le sujet central se porte sur un Dieu d’amour qui en effet est un Dieu très capricieux, dont nous sommes tous les marionnettes qu’il manipule au plaisir de ses humeurs. Mais j’y croyais, fortement et je ne souhaitais nullement être possédé par un démon quelconque.

Je le regardais, consterné, ébahi, je n’en croyais pas mes oreilles, mais je me taisais. Je voulais qu’il me raconte tout, quitte à passer la nuit ici s’il le faudrait.

  • C’est là que j’ai commencé à enchainer les filles, si homosexualité était un crime contre nature, la fornication, la prostitution n’en étaient pas un. Simplement des péchés que Dieu se ferait un plaisir de pardonner et ils m’ont servi de moyen pour savoir si toi et moi, nous étions pareillement attirés par le même sexe. 

A entendre toute cette palabre, je jurais que s’il s’agissait de quelqu’un d’autre, il m’aurait servi de punch ball. J’avouai être dégouté, mais par quoi exactement ? Je n’en avais aucune idée.

  • Tu te souviens en classe de troisième ? Après l’altercation d’André avec Mike, ce dernier était tellement amoché par notre faute que ce jour-là, je me suis rendu chez lui pour m’excuser. Je ne te l’ai jamais dit mais je l’avais embrassé en pleine bouche et j’avais vraiment aimé. On ne s’est jamais fréquenté de cette façon, Mike était efféminé certes mais il n’était pas gay, il était devenu pour moi cet ami qui me protégeait de ce monde en gardant mes secrets. Avec toi, ça a toujours été différent. Je vivais une vie normale, comme tous les jeunes normaux, parce que tu avais besoin de ça, tu n’avais pas besoin que je chamboule ta vie de cette manière. Je n’ai pas eu tant de mal que ça Tommy à jouer le jeu, tant que cela te rendait heureux. Mais j’étais aussi malheureux d’éprouver des sentiments à ton regard qui ne seront jamais partagés. 

Mon cœur se serra et je soufflai. Il faut croire que les sentiments peu importe à qui ils sont dédiés, tant qu’ils ne sont pas partagés feront toujours aussi mal. L’amour, qu’il soit d’un homme à une femme, d’une femme à une femme, ou d’un homme à un homme, reste l’amour dans toute son essence. Harry s’était tu, et moi non plus je n’osais dire quoique ce soit. Je croyais qu’il avait terminé et c’est à partir de ce qu’il allait dire durant les dernières minutes qui suivirent, que je compris l’étendue de sa souffrance et la profondeur d’être différent, d’être celui qui n’arrive pas à être comme tout le monde.

  • Tommy, c’est fou que ce que je ressens depuis l’âge puéril n’ait pas cessé de s’accroitre jusqu’à maintenant ! C’est en partie de ma faute, je n’ai jamais rien fait pour m’empêcher d’être enflammé par toi. Ta sensibilité, ta douceur, ce contrôle que tu peux avoir sur toi, tout en toi m’électrise. C’est extrême de te l’avouer finalement aujourd’hui, je sais, mais c’est vrai, parce que tout simplement, j’arrive à bander que lorsque je te vois nu ! Toutes ces filles n’ont été que le fil qui me reliait à toi, à chaque fois que tu les embrassais et que ce fut mon tour, c’est comme si je t’embrassais moi aussi et quand finalement en extase on la chevauche tous les deux, cette complicité que je ressens, ce désir brulant, je me sens imprégné de toi par cette magie que je sais être le seul à ressentir. C’est comme ça, et ça l’a toujours été ! 

Je ne voulais plus en entendre davantage, je me levai, m’approchai de lui. Je le regardai avec toute la haine que je ressentais, l’envie de le faire disparaitre à mes yeux me démangeait, puis je partis en trombe. Je me faufilai à travers tous ces gens, cette odeur d’alcool, de fumée toxique et je rejoignis le trottoir. L’air frais de la nuit me frappa en plein visage, j’inhalai un grand coup et me mis à marcher jusqu’à chez moi. Je ne voulais plus penser à grand-chose, ni ressentir quoique ce soit. Ma mère était là lorsque je rentrai, assise devant son émission préférée et me jeta un regard inquiet ; elle devrait avoir lu sur mon visage tout ce que je n’osais pas dire et que je ne dirais probablement jamais. Je me dirigeai à ma chambre et m’affalai sur mon lit, ma tête enfouie dans l’oreiller. 

C’était difficile. La complicité qui existait réellement au milieu de nous était ambiguë. Certes, j’ai toujours eu besoin de cette présence masculine à mes côtés et l’absence de mon paternel y était pour quelque chose. J’ai grandi dans un entourage matriarcal, où je n’étais entouré que de femmes qui me transmettaient tout de leur savoir, leur manière de pensée, pourtant, leur amour n’avait pas réussi à combler ce vide que mon géniteur avait laissé, ni à trouver ce juste équilibre qui manquait à mon bien être. Au fil des années, je l’ai trouvé en quelqu’un qui n’était autre que mon meilleur ami. Il veillait sur moi et prenait soin de moi à sa manière. Harry est le seul mec dont j’ai vraiment été proche mais je ne me faisais pas d’idées sur lui. Quand ça n’allait pas et que j’étais prêt à déconner, il me disait ouvertement qu’il m’aime en prenant bien soin d’ajouter que j’étais son frère et qu’il ne voudrait pas que je fasse un truc que je devrais regretter plus tard. Lorsqu’il était bourré comme un coing, il arrivait à me raconter des histoires un peu farfelues dont le sens se confondait à des envies ou des fantasmes burlesques qui n’impliquaient que nous deux, mais ça aussi je le mettais sur le dos de l’alcool et aussi parce que naturellement Harry est le type qui vous fait asseoir pour vous raconter n’importe quoi d’illicite. Comment aurais-je pu décerner tout ça ? 

Puis je me mis à pleurer. Toute cette colère, toute cette haine, ce dégoût qui me traversaient lors des aveux de Harry, n’étaient, en réalité, que ce que je ressentais pour moi, pour toutes ces fois où jamais, il n’a su comprendre que j’étais comme lui, où je n’ai pas eu ce courage de lui dire qu’en réalité, je vis en fantasme tout ce qu’on aurait dû vivre ensemble lui et moi, que chaque cellule de mon être s’enflammait lorsque nous étions proches, l’un et l’autre. Je n’aimais pas les hommes, non, mais je l’aimais lui. Cette envie de le faire disparaître ne compenserait pas toutes ces années où je le croyais hétéro, parce que cela aurait dû être nous, et que je partageais à la même intensité tous ses sentiments.

Pour Harry, c’est sans nul doute sa liberté ! Il l’a toujours su et maintenant il veut complètement l’assumer. Quant à moi c’est toute autre chose. Je l’ai découvert un jour morose où personne n’était là quand j’avais horriblement peur, peur du monde autour de moi, peur de vivre, peur du fait que mon reflet, mes pensées, mes ressentis me renvoyaient ce moi intérieur complexe, différent, authentique que redouteraient mes amis, ma famille s’ils le savaient. La seule personne à qui j’ai crié ce jour-là, c’était l’image que tout le monde se faisait de moi et comme un héros, elle avait volé à mon secours. Je me suis raisonné sans m’accepter, sans m’aimer, sans croire un jour qu’Harry pouvait être cette moitié dont je me suis lassé d’attendre. 

Aujourd’hui je ne pouvais plus, c’était trop tard. Cette image que j’ai construite autour de moi était plus importante que tout le reste, je m’y suis habitué, j’ai fini par l’aimer et je ne souhaitais plus que l’illusion d’un amour utopique me fasse pousser des ailes pour plonger dans un abîme de tourments. Sans oublier les retombés sociaux, leur haine, leur intolérance vis-à-vis des différences des autres. Je n’étais pas sûr d’avoir autant de moral pour supporter tout ce qu’ils me feront ressentir. Leurs regards seraient lourds et pesants. Ils me brûleraient la peau. Je les voyais déjà me pointer du doigt à chaque coin des rues, me sermonner d’injures venimeuses et porter atteinte à ma vie pour la seule et unique raison de ne pas être comme la majorité. J’aime Harry et Dieu sait comment ça ne me suffit pas. 

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3 commentaires
  1. Cherlan-Miche PHILIPPE dit

    J’adore la narration! C’est entraînante. Bon travail Naola!

  2. Stéphanie Naola K.G Joseph dit

    Merci Philippe

  3. Cindy E dit

    j ai laché une larme j avoue…. wawww… Ce texte est phénoménal

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