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On s’est aimé pourtant 3

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Partie III

Nul n’entre ici s’il redoute de galérer, de gémir, de perdre, de souffrir et de voir mourir ses bien-aimés. C’est ce qu’a probablement dit l’Ange le soir de la création…

  • Vanessa ne voulait pas du tout de moi. Pas une deuxième fois, pas après ce que je lui avais fait pour… pour toi. Elle avait assez souffert et elle était certaine que je ne pouvais que perturber sa paix intérieure. Elle a toujours été un peu fragile émotionnellement, et elle ne voulait pas qu’on lui refasse le coup. Elle était prudente. Et moi persistant. Plus elle disait non, plus j’insistais. Je n’ai jamais été un homme à femmes, tu es mieux placée que moi pour le savoir…
  • Et donc tu es revenu vers le connu, ce qui s’apparentait le plus à  de la certitude pour toi. Ton premier amour, tout naturellement. Charmant, non ? me dit-elle sous un ton rempli de sarcasme.

C’était peut-être de la jalousie après tout !

Je repris. Cette fois plus lentement, mettant chacun des mots qui sortaient de ma bouche sous une balance. 

  • On s’est remis en couple et ça allait bien. Vanessa m’aidait à oublier la solitude des nuits mornes que j’avais connues depuis notre séparation. Je ne comparerais jamais ton explosivité face au calme de Vanessa, mais elle m’apportait quelque chose dont j’avais alors besoin : de la sérénité.

Son visage se rembrunit. Je poursuivis quand même.

  • Les jours se poursuivaient. Tu me manquais terriblement. Tout en toi me manquait. A mesure que les jours défilaient, je me demandais si je n’avais pas commis une bêtise. N’était-ce pas toi le cœur avec qui le mien rimait ? Je mourrais à petit feu et j’avais fini par commencer à te chercher en Vanessa. Je luttais de toutes mes forces pour que ça marche entre elle et moi, mais, tu es certainement mieux placée pour savoir qu’il n’est aucun sentiment vrai qui puisse être dissimulé pendant longtemps. Vanessa avait toujours été perspicace. Une fois encore elle avait compris, et une fois encore elle était prête à se retirer de ma vie pour que je te laisse à nouveau y entrer. 

Je me tus. Le cœur subitement rempli d’une flopée d’émotions et de souvenirs que j’avais pendant trop longtemps réprimés. Les réminiscences des jours tristes associés aux jours heureux. C’est surprenant comme la vie sait faire la part des choses, un peu de peine, un peu de joie. Une fois le tour complété, elle recommence le processus : un peu de peine, un peu de joie. Pour que jamais tu n’oublies que ni la tristesse, ni la solitude, ni l’allégresse, ni la jubilation, ni l’amertume, ni l’entrain ne sont éternels. 

  • Et puis, elle est tombée enceinte.
  • Ouais, fis-je. C’est ce qui a tout chamboulé…

Je repris quelque temps après.

  • Je l’ai aimé elle et cet enfant de tout mon cœur. Tu sais combien j’aime les enfants. Je l’ai aimé et je le lui ai prouvé. J’ai tout fait pour être à la hauteur de ce que m’offrait la vie. J’étais un homme heureux pendant tout le processus de cette grossesse. J’avais beaucoup plus d’énergie pour travailler sur mes projets, je me réveillais le matin, souriant et confiant et je me couchais avec la tête pleine de belles perspectives. J’étais bien Néhémia, j’étais bien. Mais tu sais, on ne peut trop se reposer sur le bonheur. Trop frivole, trop capricieux, il ne reste jamais trop longtemps à un seul endroit…

Je me contins pour ne pas pleurer. En face de moi, Néhémia m’écoutait avec toute l’attention du monde. Je lus dans ses yeux de la compassion, une forme de compassion retenue, modérée, comme si elle eût souhaité par tous les moyens de me dire qu’elle comprenait ma souffrance mais qu’en même temps elle se refusait de trop s’exprimer. Mais je ne demandais pas plus, ces deuils que je n’avais jamais pu faire revenaient me hanter nuits et jours. C’était bien d’en parler à quelqu’un qui pouvait me comprendre. 

Le restaurant était presque vide à presqu’onze heures. Sous la terrasse, nous étions quasiment seuls. Les quelques couples qui y siégeaient encore étaient à présent enlacés, le froid de la nuit exige. Ils rentreraient bientôt chez eux et feraient l’amour tout en se félicitant d’avoir eu une belle nuit ensemble. N’est-ce pas ce que sont censés faire les couples après une belle soirée passée en tête à tête après tout ?

Néhémia avait toujours été une personne sensible, tout comme moi. Elle avait toujours un peu trop compris la douleur d’autrui. Entre elle et moi, les mots n’avaient pas toujours été nécessaires, un regard tendre, une main affectueuse dans les cheveux de l’autre, un sourire réconfortant suffisaient parfois pour lui faire comprendre que nous n’allions pas le lâcher, que nous serions là éternellement pour lui. Mais, à bien y réfléchir, peut-être nous sommes nous trop aimés, peut-être avons-nous trop donné. Ces mauvaises paroles que nous savions nous dire sans contenance aucune, n’était-ce pas là une forme malsaine d’un amour qui avait trop dit, qui avait parlé sans retenue aucune ? L’amour ne fait rien de malhonnête, dit l’Apôtre Paul. Mais c’est faux. C’est l’amour qui nous fait faire les pires choses de ce monde, c’est l’amour qui nous fait manipuler, infantiliser et couver l’autre. Parce que parfois nous avons peur de nous égarer si l’autre n’est plus là, nous nous perdons dans des disputes inutiles, dans des discussions qui auraient mieux fait d’être tues. Nous disons trop parfois, uniquement pour nous rassurer que notre âme sœur est toujours notre âme sœur… 

  • J’étais impatient à l’idée d’accueillir cet enfant. Tous les jours, je me demandai : Mais que peut-bien ressentir un père lorsqu’il tient pour la première fois son enfant dans ses bras ? Nous avions planifié de l’appeler Nadia, en hommage à ma défunte mère. J’étais sur un nuage… Mais, vois-tu, je n’ai pas pris trop longtemps avant qu’on m’y fasse descendre, brusquement, sans préavis aucun… Nadia est morte le soir même qu’elle est venue au monde. 
  • Je suis désolée, me dit-elle.

J’ingurgitai un peu d’eau, puis je repris mon récit :

  •  Et puis après, Vanessa a sombré dans une profonde dépression. Elle ne disait rien. Elle ne faisait que gémir. Je n’avais point les moyens pour l’aider, je n’allais pas bien moi non plus. J’aurais dû être là pour elle, j’aurais dû être fort pour nous deux . Mais je ne sais pas, je n’y arrivais pas. Comme si nous avions honte l’un de l’autre, nous nous évitions systématiquement. Comme deux élèves gênés après le débâcle d’un travail de groupe, nous ne voulions pas trop nous côtoyer. J’aurai dû faire quelque chose, j’aurai dû parler lorsqu’il fallait le faire, la brusquer un peu, la forcer à manger. Je n’y arrivais pas Néhémia, je n’y arrivais pas du tout.
  • Tu n’es pas obligé de continuer cette histoire tu sais, Ad… Me dit-elle. Tu n’es pas obligé.
  • Et puis un jour, repris-je, alors que je me trouvais au travail, je reçus un message de mon père qui m‘intimait de me rendre en urgence à l’hôpital. Vanessa avait avalé une tonne de médicaments…

Je réprimais à nouveau mes sanglots. 

  • Vanessa en est ressortie paralysée de ses membres inférieurs et complètement coupée de la réalité.
  • Elle est encore vivante ? me demanda-t-elle. 
  • Non, elle est morte il y a deux années de cela. 
  • Je suis sincèrement navrée, me dit-elle. 

Au bout de quelques instants passés dans un profond silence, je lui dis :

  • Viens, rentrons à l’intérieur, tu risques d’attraper froid ici. 

Elle me suivit volontiers, sans faire d’opposition. J’en fus complètement bluffé !

***

  • Trois mois après que Vanessa fut internée dans un centre psychiatrique, je fis mes valises et partis vivre aux États-Unis d’Amérique. Je voulais quitter Haïti pour un certain temps, je voulais t’oublier, oublier mon enfant que je n’ai finalement pas eu, oublier tout le bonheur que j’aurai pu avoir avec Vanessa. Je voulais être quelqu’un d’autre ailleurs et laisser derrière moi toutes les peines que j’avais connues. Je crois qu’à cette époque tu étais déjà mariée à cet homme, je me trompe ? Je partis donc m’installer en Floride. Des amis de mon père me firent rencontrer le beau monde de la cuisine haïtienne en Floride et j’obtins de belles opportunités d’embauche. 

« Tout se déroula à merveille, pendant quelque temps, jusqu’à ce que tous mes démons revinrent me hanter. J’ai commencé à prendre des cachets pour dormir, puis j’ai fini par développer une addiction. J’allais mal et personne dans mon entourage ne semblait s’en rendre compte. C’est à cette période que ce grand journal culinaire publia cet article pour me présenter au grand public, c’est aussi à cette époque que je gagnais ce concours qui me couronna comme le plus grand cuisinier caribéen évoluant aux USA. Ma vie professionnelle prenait l’essor escompté alors que je mourrais intérieurement jour après jour. Et un soir, je décidai de mettre fin à ma vie. J’en avais marre de toute cette souffrance, il fallait que cesse ses douloureux souvenirs. Tu comprends, Néhémia ? Je n’en pouvais plus ! »

Elle me fit un hochement comme pour me dire qu’elle me captait à merveille. Je continuai :

  • Mais, ce fut aussi ce soir-là que je pris la décision de vivre autrement, de me lever et de poursuivre ma route. À partir de ce soir-là, j’ai vu un psychologue, je me suis mis à faire de la méditation et me suis même inscrit à un cours de gestion de la colère !
  • Ah, fit Néhémia, sarcastique. Tu aurais dû t’y inscrire alors que nous étions en couple, cela nous aurait évité bien trop de stupidités !

Je fis semblant de ne pas entendre sa remarque, et je poursuivis mon récit.

  • Je suis revenu en Haïti pour les funérailles de Vanessa, il y a deux ans. Elle s’est éteinte dans son sommeil. On m’a raconté que les cinq derniers mois de sa vie, elle les a passés à dessiner. Elle a toujours été très douée pour la peinture.
  • En effet, confirma Néhémia. 
  • J’ai encore une de ces peintures. Tiens, regarde.

Je pointai du doigt un magnifique portrait au- dessus de nos têtes qui me désignait, en T-shirt, souriant. J’avais tenu à garder tous les dessins que Vanessa avait dessiné au soir de sa vie, mais celui-ci était mon préféré. 

  • C’est incroyablement magnifique, me dit Néhémia quelques temps plus tard.
  • Ouais, lui dis-je. 
  • Je suis vraiment désolée de ce qui est arrivé à Vanessa. Elle ne méritait pas ça. Pas elle, pas cette chic fille. 
  • Nul n’entre ici s’il redoute de galérer, de gémir, de perdre, de souffrir et de voir mourir ses bien-aimés. C’est ce qu’a probablement dit l’Ange le soir de la création. 

Elle passa une main dans ses cheveux. Je la trouvai asthénique, comme si elle faisait un effort surhumain pour rester dans l’instant présent. J’assimilai ce geste à cause de l’heure qu’il faisait. Il était presque minuit.

Ce fut elle qui brisa la glace.

  • Je peux te poser une question ?
  • Vas-y, lui dis-je.
  • Qu’est-ce qui t’a fait changer d’idée ? Le soir où tu voulais te donner la mort, qu’est-ce qui t’a fait changer d’idée ?
  • Un message, lui dis-je.
  • Un message ?
  • Ouais. Un sms.

Elle me fit signe de m’expliquer. Je gagnais quelques secondes, prenant tout le temps qu’il me fallait pour me remémorer cette horrible soirée. 

  • J’avais la corde, j’avais les pilules, j’avais le couteau adéquat. J’avais donc le choix de décider par quel procédé fallait-il que je m’ôte la vie. Je buvais, je pleurais. Mon âme n’était point apaisée. Je savais qu’il fallait que je m’en aille de cette vie, mais je n’étais pas prêt pour ça. Et subitement, je reçus un sms d’un numéro inconnu et qui disait ceci :

Car je connais ton cœur, je sais que la plupart du temps tu fais semblant de ne pas souffrir.

J’ai vu tes yeux et j’ai vu toute la peine que tu caches.

Sache que tu n’es pas seul, tu ne l’as jamais été.

Je sais ce que tu vis, ne désespère pas. 

Je serai ta voix dans la nuit. Si tu veux bien…

J’avais récité mot pour mot le sms comme je l’avais reçu six années plus tôt. Ce message anonyme qui avait sauvé ma vie, qui m’avait subitement fait reprendre foi dans le monde qui m’entourait et en mes capacités à être résilient et à faire face aux épreuves que m’imposait cette vie. 

Quand je finis de parler, je remarquais que Néhémia essuyait ses yeux embués de larmes. Je fus pris de panique.

  • Quoi ? tu ne vas pas bien ? J’ai dit quelque chose qu’il ne fallait pas ?
  • Non, non. Tout va bien, me dit-elle entre deux sanglots. 
  • Mais tu pleures, qu’est-ce qui ne va pas ?

Je tentai de lui prendre la main, mais elle m’en empêcha, comme pour me dire que ce n’était pas le moment, que je n’avais pas ce droit. Pas encore, plus encore, plus jamais ! Je me tus. Elle finit par m’avouer.

  • Mon Dieu, mon Dieu… Ce message, c’est moi qui te l’ai envoyée, Adley !

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1 commentaire
  1. NSC dit

    Un véritable gâchis sa vie!

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