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Mon corps Son âme.

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Comment commencer?

 Je me suis remise au dessin depuis trois jours. J’aime le dessin. J’admire les grands dessinateurs. J’admire leur minutie. Petite, je faisais des gribouillis, comme les autres. Mais moi, c’était spécial. Je me mettais de la pression. Je voulais de l’art. Des doigts magiques. Créer du beau. Il y a de cela une semaine, je suis retournée chez maman. Pivert me manquait. La nature. Le silence. Ces deux arbres imposants. L’histoire raconte qu’à minuit, ils changent de place. Personne ne connait leurs noms.  Ce soir, je ne dormirai pas. Trouver l’inspiration. Recommencer à dessiner. Cette fois, je partirai sur de nouvelles bases. Je suis prête à accueillir celle que je suis vraiment. Cette personne, tout au fond de moi, elle réussira là où j’ai échoué sans essayer. Car elle essayera.

Elle n’a pas de nom. Elle est personne. Elle est quelqu’un. Elle est un mot. Elle est une ligne. Elle est moi. Je ne suis pas elle. Cette personne, elle est nouvelle. Je prends un nouveau chapitre. Je ne déchire pas les pages. J’écris mon histoire. Je suis une histoire vivante. Je vis cette histoire. Je l’écris. La fin? Je l’ignore. Je tiens à faire de l’art de chacune de ces parties. Triste, Mélancolique et autre. C’est ma vie, mon histoire. Je la raconte, je n’y peux rien.

J’ai des pages rouges. Noyer cette histoire de mon sang jusqu’à l’étouffer.
Tourner la page serait comme faire un tri. Moi, je vis tout: mes maux, mes troubles, mes fautes, mes imperfections, mes qualités. Je suis un tout. Et ma vie est un tout. Je m’accentue sur les détails. Je vis à mon rythme. Les gens vont et viennent, moi, je note leur passage. J’écris tout. Je décris tout. Car je vis tout. Et parfois je ressens cette douleur jusqu’à me trancher les veines, ma douleur, mon mal de vivre. J’écris pour me libérer. C’est ma route.

Je change de parchemin. Le premier est bien conservé. Je le visiterai. Je passerai ma vie en revue. Mes peurs seront encore présentes. Ma folie sera encore grande. Mes maux, mes soucis seront là. Je les garderai. Je porterai mon fardeau. Avec ma plume, je compte me visiter tous les jours.  Mes souvenirs sont là. Encrés à jamais. De cette douleur, je rirai. 

La nuit est noire. Le monde est calme. La vie sommeille. Le cri aigu des oiseaux nocturnes perce la nuit et pénètre mon âme, me donnant ainsi des frissons. Les chiens aboient au rythme de mes palpitations. La lumière tamisée sur le buffet reflète la mort dans tous les coins de la pièce. Elle voile l’éclat de la vie. Maman est couchée sur le lit, regard vide. Elle fixe le plafond. 

Il est dix heures du soir. J’appelle Clothilde. L’ainée et la préférée de maman. Le téléphone sonne. 

  • Maman n’est plus là, dis-je en bafouillant. Elle est morte… … 

Au bout du fil, elle ne répond rien.

  • J’espère te revoir bientôt, ma sœur, dis-je en raccrochant.

Pensante, perdue, vide et troublée. Je la regarde une dernière fois avant de quitter la pièce sombre. Emportée par la mort. 

Clothilde habite en ville en raison de ses études, Port-au-Prince, le bastion de la vie. Bruyante, festive où la peur, la mort et l’insécurité règnent. Maman habite le Pivert. Notre petite famille est divisée par la vie. On cherche la vie. La meilleure. Parfois on part. On part très loin à sa recherche. Parfois la vie, elle aussi, elle part. Dans tes bras. Tu regardes la vie s’envoler alors qu’elle est encore jeune.

Tu l’entends faire son dernier vœu. Tu te rends compte que la vie. La vraie. Est en nous. Nous sommes la vie. Et la vraie lutte est en nous. La mort et la vie. Une lutte incessante. Une guerre sans merci. La mort vaincra toujours. Elle commence par nos cellules. Elle tue nos émotions. Notre volonté. La mort nous tue. Elle nous tue toutes.

Son corps s’alourdit et ce poids se bloquait dans ma gorge. Je respire la mort. Je respire le trépas. Je respire l’au-delà. L’air devient lourd. 

Cinq heures du matin, les coups de sonnette m’arrachent de ma dyspnée. Je viens ouvrir la porte. C’est Clothilde. Elle est venue de bonne heure. Elle est venue avec le soleil, qui s’apprête à lever sans mon avis.

  • Où est-elle ? Dit-elle d’une voix mal assurée, saccagée par la peur et l’espoir. L’espoir que la vie soit encore là.
  • La chambre, dis-je d’une voix fébrile, dévastée par la tristesse.

Elle traverse la pièce principale pour se rendre dans la chambre. Je la suis au pas de la porte. Elle se tient près du lit, regarde le visage inexpressif de maman. Durci par la maladie. Elle la regarde, je sens ce qu’elle ressent en la scrutant. Elle se demande sans nulle doute pourquoi, et comment elle a pu se suicider. Elle touche ses doigts raidis, son avant-bras lourd, vide de vie. Je la suis du regard. Je lis ses mouvements. Je la lis tel un livre ouvert. Elle sort de la pièce, le regard vide. Me scrute. Caresse une cigarette avant de l’allumer. Je ressens sa douleur. Elle me pique. Je ressens la douleur des autres. 

L’odeur de maman embaumait les deux pièces. Une odeur putride.

Clothilde appelle un juge, pour la constatation. Me scrute. Son regard me perce.

« Je l’ai tuée » lançai-je d’une voix coupable et angoissée.

Clothilde me lance un regard glacial.

« C’était son vœu » continuai-je. 

  • Ce n’est qu’une excuse, me dit-elle. Tu es une criminelle. Tu ne sais pas ce que coûte la vie.

« Que sais-tu de la vie, toi ? Que sais-tu de Maman ? Sa préférée. C’était quand t’as dernière fois ici?  » Dis-je d’une voix rauque.

 Je sentais en ce moment la rage de maman. Sa rage de vivre cette vie qu’on l’imposait juste pour attendre sa mort. 

Tu sais ce que c’est la solitude? Même quand t’es entourée? La sensation d’être une abandonnée, une rejetée. Être mal dans sa peau, avoir ce poids sur son dos, le poids de son quotidien. Cette solitude extrême. Tu t’efforces de combattre le temps, qui lui te pèse. Tu ne supportes pas cette lassitude. Ton quotidien te noie. Ce désir d’être libre tout au fond de toi. L’envie de mourir. Juste cette fois, partir en paix. Loin de tous, loin d’eux. Loin de toi. Avoir mal et se mutiler. Avoir encore plus mal. Se trancher les veines. Tu es sûre que ce monde te correspond? Sens-tu avoir une place? Genre une place, absolument la tienne ?


Moi, je suis celle qui vient nuire les autres dans leur monde, leur monde bien à eux. J’entre et je bousille tout. Je le sens. Je préfèrerai être l’oubliée, la rejetée, comme a dit maman. Mon quotidien m’énerve moi aussi, je n’aimerais même pas être mon amie. Mais, avant les autres, j’ai aussi moi. J’aimerais juste partir de ce corps moi aussi. Partir loin. De cette chair. De cette honte. Je m’efforce comme je peux. Je fais ce que je peux à mon rythme, mais ce n’est pas assez. Je suis encore plus nulle que la veille. Je ne veux pas me trancher les veines. Ces dernières me piquent déjà au quotidien. Quand mon mal me ronge. Quand la tristesse prend encore plus de place. Le mieux serait bien sûr de m’envoler. Partir, aller loin. Très loin.
Sans moi, ni personne pour me déranger.

De toute façon ça ne compte pas, je suis déjà perdue en moi, la douleur ne me dérange plus, je la connais, la douleur. Elle habite en moi. Je la vis. Je la respire. Je la sens. Et je me suis habituée. Demain m’effraie. Aujourd’hui, c’est ma peine. Et cette peine, elle est bien trop lourde. La vie tue.

 Un bruit à la porte interrompt notre discussion. Va-t-elle me dénoncer ? Dis-je. Le juge est là. Je n’ose pas sortir de la chambre de maman. Je la regarde sur son lit.

Le soleil est là. Je vis le noir, le soleil ne m’atteindra pas. Mon monde. Moi. Briller. Ça ne rime pas. Je suis une artiste en herbe. Je suis en herbe il y a cinq ans. Des débutants sont devenus amateurs. Des amateurs des experts. Des experts des pros. Je ne fais toujours pas la différence  entre une valeur de trait et une valeur de gris. J’aimerais peindre moi. De l’art. Pas de Lapin Kawaï.

Le juge vient frapper à la porte. Alors que je repassais ma vie en boucle. J’attendais la phrase de série policière : Vous êtes en état d’arrestation. Vous avez le droit de garder le silence.  J’ai commis mon premier crime. J’ai commis un crime. J’ai libéré maman.

  • Condoléances. C’était ta mère ? dit le Juge.
  • C’est ma mère, dis-je sèchement. Elle n’est pas morte. Je vais la porter. En moi. Je refuse de la laisser partir comme une insignifiante. Elle signifie l’amour, la tendresse. Elle signifie la motivation. Elle réussit là où tout le monde échoue. Je refuse de parler d’elle au passé. C’est ma mère. Elle vit encore. 
  • Je comprends, et je partage ta peine. Et pour l’enterrement ? Dit le Juge.

« Crémation » dis-je fermement. C’est le désir de maman, brûler ce corps. 

Et il s’en va. Le silence règne de nouveau. Je savoure une bonne dizaine de minutes. Clothilde frappe à la porte.

  • Tu me dois des explications, me dit-elle.
  • Non, je ne te dois rien. J’ai fait ce qu’il fallait.
  • Myrthilde ? 
  • Tu te souviens encore de mon prénom ? Combien de temps depuis tu ne l’as pas prononcé ? C’était quand la dernière fois que tu m’as appelée ? Qui suis-je ?  J’ai enregistré sa demande. Ses derniers mots. Sa dernière volonté. Tiens. Sers-toi de sa voix. Elle ne savait pas si je l’enregistrais.

 Je m’assoie près de maman. Clothilde écoute le vocal inaudible à cause de la maladie.

« J’ai envie de danser, de chanter, d’aller en boite, d’aller au restaurant. J’ai envie de sentir la vie bouger en moi, renaître chaque matin et mourir tous les soirs. Profiter de chaque instant. Conduire une moto, sentir l’air s’abattre sur mon corps, sentir l’air pénétrér mes poumons. Crier haut et fort : La vie, elle est en moi.

Lire un bouquin, feuilleter le précieux, respirer son odeur. M’enivrer de mots, découvrir de nouveaux auteurs. Lire les meilleurs. Vivre le silence d’une librairie. Rire aux éclats dans une bibliothèque en criant : je suis vivante.

Écrire aussi me manque. Faire parler mon imaginaire. Rire me manque. Cuisiner, dessiner. Courir. La vie me manque. 

Ce n’est pas l’argent qui me manque, mais mon corps, ce cauchemar. J’aimerais pouvoir partir, chaque journée est encore plus terne, plus grise que la précédente. Je vis la mort, je vis le vide. Je vis le néant, je vis l’amertume. Je vis l’âcre, je vis le dégoût. Je vis l’insensé. La vie, le bonheur jadis, les coups de cœurs passés, l’amour, le désir, l’envie. Tout ça me manque.

Tu sais ce qui me manque le plus: le sexe. J’aime le sexe, je rêve souvent mes dernières fois. J’adore l’odeur de mon vagin, c’est rassurant et presque émouvant. La sensation d’être désirée, d’avoir quelqu’un en soi, avec des regards avides telle une bête sauvage savourant sa proie. Ce corps à corps, la sensation de n’être qu’un. Le moment intense où on passe à la fusion, à l’alchimie. L’essentiel pour moi, c’est de retarder le plus possible cet instant. C’est un jeu jouissif.

Je vis au ralenti, je regarde les secondes devenant des minutes, puis les minutes des heures. Les heures deviennent des jours. Le fardeau du quotidien accapare mon être. Comme une horloge, je compte les secondes. J’attends ce jour, le jour de la fin.

Ta grande sœur, Clothilde, est celle qui vit l’instant présent. Elle vit à travers les lois. Incertaine mais elle avance. Et toi, Myrthilde, tu es ma fille bien-aimée. Tu es comme moi. 

J’ai beaucoup trop souffert. J’ai beaucoup trop lutté. Depuis l’apparition de cette maladie, s’installant et s’apprivoisant de mon corps. Elle accapare mon âme et devient propriétaire de celle que je suis. Je ne suis plus cette gamine rêveuse, je ne suis plus cette fille d’autrefois, vivant la peur du demain et les folies d’aujourd’hui. Je ne vis ni le présent, ni le passé, encore moins le futur effrayant. 

Mes larmes ont cessé de couler. Ces cellules ne produisent plus. Gamine, je rêvais l’univers même si je peinais à trouver ma place dans ce vaste horizon. Je me voyais vieille, vivante. Mes dernières minutes entourées de mes deux enfants.

En grandissant, face à la beauté inhumaine abjecte, j’ai su que l’humanité n’a ni nom ni étiquette prédéfinie. Elle est comme ce qu’on ne peut décrire. Pour certains, elle crée la joie et la reprend par la même. Pour d’autres, la joie est inexistante.

Telle est ma destinée, je la regarde, ma voie tracée, et l’herbe verdoyer puis mourir sous mes pas.

Tu sais ce qu’il te reste à faire, maintenant.

Oui, maman. Mais comment? demande-je d’une voix mal rassurée.

Avant tout, je dois te dire quelque chose. Vis ta vie, vis tes attirances. Tu n’es pas obligée de mettre un mot sur tout ce que tu ressens. Si tu veux mon avis, ça a déjà un mot dessus. Ça s’appelle sentiment. Ne te tortures pas à te trouver une définition. Tu en es une. Tu dois te blottir contre la vie, malgré les vents et marées. Vis chaque seconde. Savoure chaque minute.

Moi, je ne suis plus. Je dois partir. Mon heure est venue. Aide-moi. Aide une pauvre âme en souffrance. Libère la, elle doit partir.

Tu sais le plus dur des fardeaux, ce n’est pas les péripéties de la vie. C’est de se rejeter soi-même. Quand la vie t’importe peu. Très peu. Quand la vie meurt. Ton relent monte jusqu’à te donner la nausée. Je déteste mon odeur. 

Vivre ou mourir, quelle importance! On vivra les deux en deux temps. Quand l’une se termine vient la place de l’autre. Quand mon corps est meurtri par les coups de la vie. La mort sera mon repos. 

Mon corps m’abandonne. Il ne fait que se courber sous les coups de la vie. Tel est sa destinée. Un jour mon corps partira. Pour l’instant, il est mon fardeau. Je le porte. J’aimerais tant le déposer au pied de l’autel de la mort. L’abandonner aussi. Pour toujours. 

Maintenant appelle Clothilde, Annonce-la ma mort. Regardons sa réaction. »

…Puis un silence dura une éternité. 

  • Maman était encore en vie quand tu m’as appelée? Demande Clothilde, folle de rage.
  • Oui, je ne voulais pas la tuer. Elle m’a piégée. Elle a toujours eu ce qu’elle voulait. Même la mort. Je t’ai annoncée sa mort. Tu devrais voir un corps. Et non Maman.  Je sentais sa solitude, sa rage. Je sentais dans sa voix la victoire de la maladie. Elle avait déjà l’odeur de la mort. Elle me demandait de la délivrer. Elle voulait partir, la vie la retenait prisonnière. Son corps fait fi à la vie, et à sa défaite. J’ai été choisi pour délivrer maman de son mal. J’ai été choisi pour apporter la paix à son âme troublée.
  • « De quoi souffrait-elle ? Me demande-t-elle enfin.
  • C’était quand ta dernière fois ici ? Depuis votre dispute ? Maman souffrait de Sclérose latérale amyotrophique, plus connue sous le nom de la maladie de Charcot. «C’est un Trouble du système nerveux qui se caractérise par un affaiblissement des muscles et qui impacte les capacités physiques. Les cellules nerveuses sont altérées ce qui leur fait perdre leur caractéristiques fonctionnelles au niveau des muscles. » La cause est encore inconnue. Mais c’est une maladie chronique et incurable.

Maman a débuté par une faiblesse musculaire. Ensuite les muscles s’atrophiaient. Maman avait des crampes musculaires à intervalles irrégulières et des secousses musculaires involontaires des muscles volontaires. Le médecin observait une diminution du tonus et un affaiblissement des réflexes. Maman avait le souffle court, accompagné d’une incapacité  d’articulation. 

En bref, c’est une maladie neurodégénérative qui atteint progressivement les neurones, entrainant une faiblesse musculaire puis une paralysie.

  • Comment as-tu su tout ça ?
  • Je venais la voir chaque Week-end.
  • Tu parles de maman au passé, maintenant.
  • Non, de sa maladie. Je la retiens vivante.
  • Comment était son visage au cours de la maladie ? Comment était-elle ? J’aimerais la voir, et lui dire combien j’étais  désolée. Elle me manquait terriblement durant toutes ces années. Tu aurais pu me laisser la voir. 
  • Je n’ai fait que respecter sa volonté.

Elle respire profondément puis relance le vocal.

« Ma petite Clothilde,

Je suis désolée. Désolée de t’avoir laissée partir. Sans savoir où tu allais. Désolée de ne pas t’écouter quand tu voulais parler. Désolée d’être absente dans ta vie. Je n’ai pas été une bonne mère. Mais. Je t’ai aimée comme j’ai pu. Je t’ai aimée ainsi. Je suis désolée. Je ne devrais pas t’offrir cette vie. Tu méritais bien plus. Je n’ai pas mesuré mes mots, je ne les avais pas pesés. Ils ont eu l’effet inverse de ce que je pensais exprimer. Qu’est-ce que tu es devenue ? Vais-je mourir sans te voir ?

Oui, je ne pourrais pas te regarder sans pouvoir te toucher.

La vie semble mépriser la peur. Elle la joue des tours. Sans se soucier de son avenir. Elle l’a nourrie, en la méprisant. Elle l’a nourrie. Elle veut qu’elle soit éternelle. On se dégoute. La vie nous dégoute. La vie se dégoute de nous. La vie nous méprise telle notre peur. Et la mort remporte la victoire. La mort gagne toujours.

La malchance, c’est la vie. La malchance de naitre. La malchance de vivre. La malchance qu’on chérit. La malchance qu’on plaint. La malchance qui nous ronge. La malchance, notre quotidien.

Moi, je cours. Je cours fuir la réalité. Ma réalité. Pour me plonger dans le vide. C’est noir, mais je plonge. Comme pour me noyer dans un vide sans fin. Je plonge. Je n’arrive plus à respirer. Je me réveille en sursaut. Je connais l’appel de la mort. 

 La mort n’a pas de visage. Elle est ce qu’on ne peut comprendre, ce qu’on ne peut voir. Elle sème la terreur, l’angoisse en offrant le repos. On la cherche, elle fuit. Tu la fuis, elle te rattrape. On connait son existence douteuse, on pense qu’elle nous a oubliées même si on se peigne de vivre. Elle est là, en nous, partout. Elle nous suit, nous accompagne. Elle est la sœur jumelle de la vie. Elle est sa double, elle est l’autre côté de la vie. Sa face cachée. Celle qu’on doute. Celle qu’on ne veut pas voir. Celle qui est certaine. 

Le venin insidieux du passé se mêle au présent ainsi l’empoisonnant. Lui et le futur. »

Je regarde les crématistes entrer puis partir avec son corps.  Je les regarde emporter maman. Ma sœur me regarde sans dire un mot. Les larmes de culpabilités lui montèrent aux yeux. Les mots de maman. Ils ont ce pouvoir de consoler, de libérer, de faire pleurer. Les mots de maman.

Un peu plus tard dans la journée, un crématiste m’a apporté maman dans un pot. Un pot avec son nom dessus. C’est tout ce qu’il nous reste. Son âme est libérée. Ma sœur est dans ses draps, pleurant encore son départ. Pleurant sa montée au ciel.

Je surfe sur les vagues de la vie. Implorant je ne sais quoi. Je ne crois pas en Dieu. Accepter Dieu, c’est accepter la souffrance des autres. Accepter Dieu, c’est accepter la discrimination, la stigmatisation et dire que c’est le destin. Accepter Dieu, c’est accepter ma souffrance. Accepter Dieu, c’est accepter la maladie de maman. Accepter Dieu, c’est libérer maman de mon esprit. Accepter Dieu, c’est accepter son départ.

Elle est éternelle. Tant que je vivrai, elle vivra. Elle est bien plus qu’un pot. Elle est un jardin de chrysanthème. Elle est le repos. Elle vivra chaque seconde, chaque minute. Elle vivra en moi, en nous. Elle vivra. La vie ne l’effacera pas.

Clothilde prend ma main. Afin de me conduire vers le jardin de Muguet. Ensemble, on jette ses cendres entre ses passions, entre ses fleurs. Maman est une fleur. Maman est éternelle.

Mon cœur se vide. Ce poing. Ce manque. Ce vide. Je n’ai toujours pas assisté au déplacement de minuit des deux arbres séculaire.

J’ai arrêté de croire au changement, au bonheur. Le bonheur ne viendra pas. Et je suis cette nouvelle personne éteinte au prélude de sa vie. Cette lumière qui semblait briller est partie. Et maman a pris cette place. Elle la mérite. 

Je suis le noir. Je ne brillerai jamais. J’ai abandonné le dessin. Un rêve déchu. Dans le noir, on ne dessine pas. La nature est morte. La vie est morte. Je suis morte.

Alphée

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