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Une seconde d’éternité

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« L’éternité a creusé une place dans mon cœur bordélique pour vous, ma famille, que le temps m’a appris à aimer. »

Les aiguilles de l’horloge au-dessus de mon bureau de travail semblaient être figées pourtant deux heures s’étaient déjà écoulées depuis que j’étais penché sur ce morceau de papier à essayer de résoudre un exercice d’arithmétique ennuyeux. Mes pensées vagabondaient, de temps à autre, les yeux rivés sur cette feuille sans pour autant la voir, moi seul savais combien long pouvait durer une minute de solitude. Les pleurs de ma demi-sœur nouveau-née me parvinrent depuis le long couloir qui me séparait de la chambre de mes parents. Tourmenté par ce son si pénible qui me rappelait constamment l’intrus que je fus dans cette vaste et sinistre maison, je mis rapidement mes écouteurs. Toutefois, ce pincement dans le cœur ne se dissipait pas sous la musique assourdissante. Invisible pour ceux-là qui étaient censés m’aimer, ce petit être, Marla qu’on l’appelle, allait totalement m’éclipser en s’accaparant de toute l’attention de ses adorateurs. Du haut de mes quinze ans, ma mère ne m’avait jamais souhaité rien qu’une seule fois un joyeux anniversaire, pour elle, je resterais cet enfant non désiré issu d’un viol.

Alors que j’étais encore noyé dans mes pensées, sans crier garde, ma mère pénétra ma chambre avec le bébé endormi dans ses bras, ce fut un tableau admirable malgré moi. Ses yeux fatigués peinaient à rester ouverts, n’ayant que très peu dormi depuis l’accouchement, elle me toucha l’épaule pour m’obliger à enlever mes écouteurs. Une soudaine contrariété s’empara de moi croyant qu’elle allait me forcer à porter Marla mais, au lieu de ça, des larmes affluèrent à ses yeux et mon cœur rata un battement. « Pardonne-moi de t’avoir négligé pendant toutes ces années. Je ne me rendais pas compte du mal que je te faisais… ». Sa voix se bloqua dans sa gorge, ma peau s’horripila face à cet aveu inattendu. Comme pour répondre à mon expression interrogatrice, elle me montra une petite coupure presqu’invisible sur la paume de Marla puis, elle continua sur cette même voix cassante qui me laissait médusé. « Je ne l’ai laissée seule que quelques minutes sur mon lit et elle… Elle est tombée. Toi, je t’ai laissé pendant quinze ans… Je t’ai fait du mal, Gabriel mais, je t’aime. » Elle éclata en sanglots, son corps saccagé par les spasmes réveilla Marla. Ému, je me précipitai pour la prendre dans mes bras, nous ne savions plus combien de temps nous avions passé dans cette position à pleurer l’amertume qui nous rongeait de l’intérieur quand finalement, je décidai à m’occuper de ma petite sœur pour la nuit. Mes lèvres formaient une ligne droite, ne savant plus ce que je devrais lui dire car elle était encore pour moi cette mère qui ne m’avait jamais aimé. Au fond de moi, il y avait beaucoup de sentiments à son égard mais, le pardon n’en faisait pas parti. Elle quitta la chambre en laissant derrière elle ce silence pesant interrompu par les pleurs entrecoupés de ma petite sœur.

Les petits doigts de Marla s’enroulèrent autour de mon pouce auquel elle s’agrippa comme une bouée de sauvetage alors que de son autre main, elle tenait fermement la poche de ma chemise. Tout en la berçant doucement dans mes bras, je lui chantonnais une vieille poésie pour qu’elle puisse s’endormir mais, le sommeil semblait plutôt vouloir s’accaparer de moi. Comme si cette situation l’amusait, un rictus apparut au coin de ses lèvres me faisant vaguement penser que peut-être elle se moquait de son grand frère. Soudainement, une lumière blafarde se mit à illuminer l’intérieur de la chambre, mon beau-père, Fred, revenait de son boulot. Je m’approchai près d’une fenêtre pour montrer à Marla son père qui rentrait même si elle ne comprendrait pas. « Regarde. C’est papa. » En guise de réponse, Marla se mit à sucer mon doigt emprisonné dans sa main minuscule. Elle était si petite, si mignonne et en même temps si fragile que les murs érigés pendant ces longues années pour ne jamais aimer personne, s’ébranlèrent. Tandis que mon beau-père tardait à descendre de sa voiture, je continuai à lui chanter la vieille poésie.

Quand le soleil cessera de briller

 Quand le monde s’arrêtera de tourner

Quand tout te semblera faux

Quand il ne restera plus aucun espoir à l’horizon ou qu’une trahison te fera souffrir

Tu n’auras pas mon épaule pour pleurer. Non. Car, je me chargerai de te faire retrouver le sourire que la vie essayera de t’enlever.

Les garçons qui te courtiseront, ils devront d’abord m’affronter pour gagner ton cœur. Te protéger sera pour moi une mission à laquelle je ne faillirai jamais. Te rendre heureuse sera ma quête, ma raison de vivre. Ton frère, ton père, ta mère et par-dessus tout cela, je serai ton plus fidèle ami.

Allongé en califourchon sur mon lit à côté de Marla, ma propre chanson m’avait assoupi quand soudainement, des coups de feu provenant du couloir qui me séparait de la chambre de mes parents m’extirpèrent brutalement de mon état de somnolence. Les premières secondes qui succédèrent le bruit alarmant me paralysèrent, je me demandais si c’était bien réel puis, plusieurs autres coups de feu retentirent, me déclouant du lit. Tandis que je n’arrivais plus à sentir le poids de mon corps, mon cœur réclamait à sortir de sa cage thoracique et il n’était plus qu’une question de secondes pour m’enfuir avec ma petite sœur. Marla ne tarda pas à commencer à pleurer et qui que ce soit, je craignais qu’ils ne soient attirés vers nous par les pleurs. D’une main tremblante, j’ouvris légèrement la porte et là, je pus apercevoir le corps ensanglanté de mon beau-père le long d’un mur. Un violent étourdissement s’empara de moi, je faillis tomber à la renverse face à cette vue que mon cerveau ne pouvait digérer. Hurler, je l’aurais voulu mais, ce serait trop risqué alors mes lèvres subirent le supplice de mes dents. Un homme portant un masque qui, cachait à peine son visage apparut dans mon champ de vision et il ne semblait pas me voir. Il s’accroupit devant Fred puis, se mit à lui parler sur un ton sarcastique comme si son corps invalide allait l’entendre. « Tu croyais pouvoir t’en sortir après avoir tué l’un des nôtres? Je vais niquer tous les flics de ton espèce, un par un. » Soudainement, l’homme tourna la tête dans ma direction, un sourire sardonique se dessina sur ses lèvres. Choqué, je refermai brusquement la porte mais, il s’approchait vers nous à grands pas. J’attrapai ma petite sœur dont les cris se faisaient de plus en plus aigus, mon regard balayait la chambre à la recherche d’une corde qui nous permettrait de descendre par le balcon.

« Ouvre cette putain de porte, petit morveux! » Hurla le malfrat en agitant sauvagement la serrure. Des coups de pieds s’en suivirent, notre séparateur était sur le point de céder quand je décidai de sauter du balcon sans réfléchir aux conséquences. La chute m’était brutale mais, pas une seconde je n’avais lâché Marla qui désormais ne pleurait plus sans doute amusée par la situation. J’entendis la porte s’ouvrir et ce fut le signal pour que je me mette à courir en oubliant ma jambe gauche qui me faisait atrocement mal. Mes pieds me portèrent sur la grande route dans une course folle surhumaine, je berçais involontairement ma petite sœur dans mes bras agités. Même si je m’étais éloigné du danger, il y avait encore cette horrible impression d’être pourchassé qui m’empêchait de m’arrêter alors, je courais vers cette destination inconnue. Mon cœur tapait durement dans ma poitrine alors que dans ma tête se rejouait le drame que je fuyais. Qu’était-il arrivé à ma mère? Cette question sans réponse me martelait, chaque nouvelle seconde d’incertitude me crucifiait plus douloureusement que la précédente. Le vent me donnait de grosses claques, séchant les larmes qui avaient coulé sur mes joues, j’ignorais encore que j’allais devenir le seul parent de Marla.

Le temps d’un battement de cil, seize années s’étaient écoulées depuis cette fameuse nuit où Marla et moi avions tout perdu. Ma sœur grandissait trop vite, même en étant un homme accompli, je n’avais pas réussi à tenir les promesses que je lui avais faites dans cette chanson il y a si longtemps. Parfois, je l’entendais pleurer dans sa chambre très tard la nuit et au petit matin, elle se comportait comme si tout allait bien. Il y avait à présent une barrière invisible qui m’empêchait de la comprendre, une barrière si tenace que malgré tous mes efforts je n’arrivais pas à ébranler. Elle ne me parlait plus de ses peurs et de ses doutes, pour elle, je n’étais devenu qu’un étranger. À trop vouloir la protéger de tout, notre complicité avait fini par disparaître, elle ne voyait en moi qu’un grand frère qui en faisait trop. Rien au monde ne pouvait remplacer nos parents, pas même moi, la seule famille qu’elle n’ait jamais connue.

Assis au bord d’une piscine, la tête entre les mains, une bouteille de vodka à peine entamée à mes pieds, mon esprit cherchait encore la recette secrète pour élever une ado car, je me sentais perdu, impuissant et inutile. Comme toutes les fois où je rentrais tard de mon boulot de garde du corps, nous n’avions jamais le temps pour discuter car elle était toujours en compagnie de ses amies à la maison. Ce soir, elle m’avait demandé la permission pour se rendre à une fête, j’étais sur le point de refuser quand je me rendis compte que la traiter telle une prisonnière ne ferait qu’aggraver notre relation. La rendre heureuse, c’était la quête que je m’efforçais de respecter même si trop de fois en voulant la protéger, j’échouais.

J’apportai la bouteille de vodka à mes lèvres, alors que je la tenais encore, un coup de feu retentit, surpris, mes doigts cédèrent en la laissant se briser en mille morceaux au sol. Le souvenir de ce son pourtant si réel n’était que le fruit de mon imagination, je pensai tout de suite à Marla. Tous mes sens étaient en alerte, elle était en danger, cet étrange sensation ne me quittait plus. Mon portable se mit à vibrer en affichant un appel entrant de Marla, mes mains se mirent à trembler. Quand je répondis enfin, sa voix agitée à l’autre bout du fil me suppliait de venir la chercher. Selon ses propos, elle se cachait d’un pervers qui essayait de la tripoter à la soirée d’anniversaire. J’attrapai les clés de ma voiture pour me rendre à l’adresse indiquée.

À mon arrivée, je fus surpris de voir le nombre de jeunes déjantés qui faisaient publiquement l’amour. L’endroit empestait l’alcool et toute autre sorte de produit illégal, si seulement je savais qu’il s’agirait de ce genre de soirée, je n’aurais jamais accepté. Je ne tardai pas à retrouver Marla dans l’arrière-cour qui se débattait avec un homme dans la quarantaine. Ses mains se baladaient sur ses fesses, dans un élan de rage, je me jetai sur lui en le ruant de coups. Il était plutôt costaud et avait réussi à me déstabiliser en me mettant une droite. Marla me criait de nous en aller mais, la colère m’aveuglait alors je continuais à le frapper, frapper et frapper. Je voulais tuer ce porc qui me fit vaguement penser au père que je n’ai jamais connu. Les jeunes s’étaient rassemblés autour de nous, la plupart d’entre eux filmaient la bagarre. Alors que je lui démontais la mâchoire de coups de poings, je m’affaiblissais peu à peu n’ayant pas remarqué que durant tout ce temps, il me poignardait. Je m’écroulai au sol, incapable de faire le moindre mouvement. De ma main, je pressais mon ventre d’où coulait ce liquide chaud presque noir. Des toux s’échappaient de mes lèvres en rejetant du sang qui m’obstruait la gorge. Marla se précipita sur moi, les joues bombardées de larmes, ses lèvres tremblaient tandis que ses yeux me suppliaient de rester en vie.

« Réveille-toi, s’il te plaît. J’ai besoin de toi. Je t’en supplie, ne me laisse pas, Gabriel. » Elle prit mon visage entre ses mains, à chaque fois que mes yeux se refermaient, elle me secouait la tête pour me garder éveillé. J’étendis la main pour effleurer sa joue de mes doigts ensanglantés, je l’aimais tellement plus que ce qu’elle pouvait imaginer. « J’ai besoin de toi » Je rêvais tant de fois de l’entendre me dire ces mots qui vivifiaient mais, maintenant, ils étaient les mots les plus douloureux du monde. « Tout… Tout ce que je voulais… C’est de te protéger. Et, j’ai… je n’ai pas réussi, Marla. Pardonne-moi, s’il te plaît, petite sœur. Je… Je t’aime… Tellement, si tu savais. » Réussis-je à marmonner malgré la souffrance qui m’épuisait.

Elle ouvrit la bouche pour pleurer mais, des pleurs de bébé en sortaient. « Gabriel! » Hurla subitement la voix de ma mère. Je me réveillai brusquement sur un lit à côté d’un bébé et ce bébé c’était Marla. Ma mère prit Marla, rougie tellement elle avait pleuré et pendant tout ce temps, je rêvais d’une réalité où nos parents s’étaient fait assassiner. Le regard de ma mère était rempli de reproche quand elle me dit: « Pour une fois où je t’ai laissé t’occuper de ta petite sœur, toi, tu t’es endormi sur elle. Dieu seul sait ce qui aurait pu se passer si je n’étais pas arrivée à temps ! » Soulagé de revoir la famille qui me manquait tant, je me jetai sur ma mère pour l’enlacer de toutes mes forces. « Je t’ai pardonné, maman. » Prise au dépourvu, son corps se raidit puis, elle me serra à son tour, surprise par le revirement de la situation. Un sourire de béatitude se dessinait sur nos lèvres, il n’y aurait désormais plus de place pour l’amertume, la solitude car ce soir-là, nous avions décidé d’oublier nos blessures pour laisser une autre chance à la vie.

 

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8 commentaires
  1. Tekyla dit

    Superbe. Ça te transporte au loin. Bravo ?

    1. Leysha Claendjie Kimara Jeune dit

      Merci?

  2. Miyou dit

    Ou ka rete kè on moun!

  3. Emmanuel SAUVEUR dit

    Très beau texte Leysha,je veux déguster ta plume encore plus!!!

    1. Leysha Claendjie Kimara Jeune dit

      Merci à vous!?

  4. Mervil john Gerald Stanley dit

    Félicitations j’aime bien la façon tu as joué avec nos émotions, j’ai l’habitude de voir la fin des histoires mais pour cette fois c’était pas possible.

    1. Leysha Claendjie Kimara Jeune dit

      Ça me fait plaisir! Merci

  5. […] Lire aussi>>Une seconde d’éternité […]

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