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Car je vous aime

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Je meurs d’amour comme d’une blessure ;

Plus fort que la mort et de ses coups plus sûrs,

« Il enchaine mes sens, ma pauvre âme démente

Comment m’enfuir et survivre, comment?

Etzer Vilaire

 

À quinze ans, on n’est plus totalement un enfant. N’est-ce pas? Mais l’on n’est toujours pas grand. J’aimerais pouvoir présenter mon histoire comme ayant été merveilleuse. Vous savez, ce genre d’histoire qui vous marque à vie. Mais ce serait faux. Mon histoire a été banale. Comme je l’ai moi-même été.

 

Mon groupe d’amies était composé de trois filles dont moi. J’étais la plus jeune. On me disait joviale. J’étais toujours surexcitée, joyeuse, toujours plus émotive que tout le monde. Mais j’ai eu un secret, et c’est à cause de lui que je suis partie. J’étais malgré ma position de benjamine, la conseillère de mon groupe. J’écoutais les peines de mes amies et je les conseillais de mon mieux. J’étais de foi Chrétienne, mais mes amies aimaient bien toucher à l’occultisme. Personnellement, cela m’était égal. Sans être une petite fille sage, je savais me faire apprécier; et j’étais une Prima donna capricieuse mais attachante. Ma vie était parfaite… jusqu’à mon secret.

 

Mon secret est né un sept septembre soit, un mois et une semaine après la rentrée des classes. C’était un samedi. Dans la soirée, nous nous étions réunies chez Tamara, comme c’était notre habitude. Nous étions sensées rire et raconter nos vies. Mais nous avions toutes des mines graves. À croire qu’on savait toutes. Finalement, ce fut Tam qui prit la parole. Tamara était mon pilier. La plus expérimentée en tout et la plus audacieuse. Elle savait garder les pieds sur terre et me ramenait toujours quand je débordais. Elle avait tout essayé en amour et en mysticisme et aucun de ces domaines n’avait de secret pour elle.  Du moins je le croyais jusqu’à ce qu’elle nous dise: « je suis hantée« .

 

Vous savez, chez moi, être hanté ce n’est pas un jeu. Ça ne se résume pas à des objets qui bougent, des messages sur la buée, les bruits et grincements de portes dans la nuit. En Haïti , être hanté c’est tellement pire. C’est subir des crises de convulsion, des crises respiratoires, c’est voir les démons de jour comme de nuit. Se faire voler son sang et étouffer durant son sommeil. Savoir qui est le responsable de ses malheurs sans pouvoir en parler, sans arriver à se défendre. Très souvent, cela se terminait par une zombification. Tout le monde le sait en Haïti, mais personne n’en parle. C’est tellement courant et si effrayant. Tamara a failli sombrer dans la folie.

 

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Quelques temps après qu’elle fut guérie, ce fut le tour de Sacha. C’était en janvier lorsqu’elle nous apprit sa grossesse. Elle s’était fait violer par quelqu’un à qui nous faisions confiance toutes les trois, quatre mois avant. “Violer”, c’est un grand mot, un peu vague. Non? Elle s’était vue forcée à avoir des rapports sexuels non-protégés avec un adulte de notre entourage à la date du 7 septembre précédent. Elle n’avait que 16 ans. Qui allait croire le monde? Une jeune fille des quartiers populaires ou un vénérable professeur de sciences naturelles? Vous connaissez les parents haïtiens ? Sacha a fini à la rue. Puis elle a été recueillie par les parents de Tamara.

 

Malgré tout cela je suis restée moi-même. Toujours souriante, toujours joueuse, consolatrice. Au fond, je crois que c’était mon devoir de rester forte pour elles. Pour leur donner un peu de force. Malgré la faiblesse que me causait mon secret.

 

Mon secret a grandi le 17 avril suivant. Il m’a empêché de sortir. Le rejoindre. Et lui, ça l’a fatigué. Il en a eu marre. C’était la énième fois. Et il est parti. Je ne l’ai pas retenu. Je ne lui en ai pas voulu. C’était le mieux à faire. La vie continuerait. Et la vie a continué. J’ai porté mon secret jusque pendant les vacances.

 

A la rentrée, je n’en pouvais plus. J’ai dégringolé. Je n’en pouvais plus. J’ai passé un mois au plus bas avant de me décider à me reprendre avant qu’il ne soit trop tard. Je m’étais levée, j’avais passé une journée rayonnante et fait vivre mon monde.

 

Le lendemain, le dimanche 7 septembre, je me suis couchée à 20h16. J’avais envoyé mon secret sur un groupe “WhatsApp” à tous mes amis, à mes proches, à mes parents qui savaient déjà, et à lui. J’ai fermé mes yeux à 20h20 et me suis endormie pour toujours à la dernière seconde de 20h29. Ma boite de médicaments en main.

 

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C’était cela mon secret. Je n’ai jamais été forte. J’ai souvent pleuré le soir. Je ne me sentais pas vivante. Je n’ai jamais été exceptionnelle. J’étais juste là, sans l’être. Je ressentais et voyais la mort. J’ai appris à l’aimer. Elle me rendait si souvent visite. Elle m’attendait en moi-même. Je suis juste triste pour eux. Mais ils s’en remettront. Je n’avais pas le choix. Je n’avais pas choisi d’être malade. Je n’avais pas choisi mon cancer. Je n’avais pas choisi d’y succomber un an jour pour jour après que je l’ai appris. Je n’ai pas choisi tout cela. Je l’ai juste accepté.

 

Ne pleurez pas sur ma mort si vous m’aimez vraiment. La mort est une partie de la vie; et peut-être bien la plus belle. Dieu, a-t-il pleuré en m’envoyant vers vous? Alors pourquoi pleureriez vous car je le rejoins ? Ne pleurez pas sur moi si vous m’aimez vraiment. N’essayez pas de me retenir. Là ou je serai je vous verrai. Nourrissez nos souvenirs, revivez-les avec le sourire. Un seul sang, une seule âme, un seul Seigneur et un seul Dieu sont notre partage. De ou je serai, nous serons toujours un. Ne pleurez pas sur moi. Ne pleurez pas sur ma mort. Ne regrettez rien de nos vies, aucun de nos moments. J’en chérirai le souvenir de-bas. Ce corps de terre et de poussière est une prison, lorsque j’en serai libérée, fêtez avec moi. Un jour après le dernier jour de ce monde nous serons réunis, nous serons ensemble en Dieu. Complets et merveilleux. Alors ne pleurez pas sur moi, mes amis, ma famille ; ne pleurez pas sur ma mort. Ne pleurez pas car je vous aime.

Déborah Bérénice « Itaby » Passé

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2 commentaires
  1. Mervil john Gerald Stanley dit

    Comme c’est triste!!!

  2. Berlanda Cajuste dit

    C’est triste,mais c’est beau ,chacun des mots du texte ,disent quelque chose .Bravo j’ai aimé

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