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Nos destins contraires

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NOTE AUX LECTEURS

Bien que la 2ème Rue Paulin existe réellement dans la ville de Saint-Marc, les personnages que vous allez rencontrer dans cette histoire ne sont que le fruit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance à des personnes existant ou ayant réellement existé ne serait que pure coïncidence.

A toutes les personnes que j’ai rencontrées dans la rue Paulin,

En espérant qu’elles lisent cette histoire qui n’en est pas vraiment une.

 

 

 

2ème Rue Paulin, 12 Août 2018

Le quartier n’a pas beaucoup changé : l’asphalte commence à prendre des coups par endroits, quelques constructions sur des espaces autrefois vides qui servaient de terrains de football les après-midi. À l’extrémité Nord, Man Jacques et sa petite boutique de fortune comme une sorte de guerre aux concepts. Man Jacques doit être centenaire maintenant. Personne n’a jamais connu son âge mais on dit vaguement qu’elle est née au début de la première guerre. 

Le corps de Man Jacques ne répond plus mais elle refuse de mourir. C’est ce qu’elle a fait toute sa vie. On ne lui a jamais connu de famille depuis le premier jour où elle était venue habiter ici. Alors, tout le quartier s’est offert à elle. 

Les enfants de cette nouvelle génération viennent se ravitailler dans la vieille boutique mais ce n’est pas comme du temps de Momo, l’intellectuel désœuvré, Papouch qu’on surnommait autrefois T-fèn Cadet pour sa maîtrise du ballon rond, Edgard, amateur de billes qui mourait d’amour pour la fille de chez les Sœurs de Cluny, Anna, qui elle-même mourait d’amour pour la sœur de Claude, Sylphise. Toute la bande que le temps réunissait le matin dans une partie de dominos ou de billes, et les après-midi dans le grand rendez-vous de football sur le terrain qui se trouvait derrière la maison de Claude : Ronald, Pipo, Tchevwanda, Kenny, Robert, Wesley, Ashley, Boodah, Wendy. 

Pour le foot, Papouch était le plus talentueux du clan. Pour les billes, il n’y avait pas comme Tchevwanda. Papouch et Tchevwanda ne se trouvaient jamais dans la même équipe, n’étaient jamais associés, que ce soit pour le domino ou le foot. D’éternels rivaux, ces deux-là. Ils pouvaient passer des heures entières à discuter de choses futiles comme qui devait un petit pont à l’autre sur l’ensemble des petits ponts qu’ils se sont donnés ou qui a ramassé le plus de billes et de pièces de monnaie dans la dernière partie. Les autres les regardaient faire et se divisaient sous leur égide.

Le quartier avait sa vie de tous les jours, d’une part, et de l’autre, le monde des enfants. On ne connait pas la chaleur de ce monde tant qu’on n’y est pas. On ne connait pas Momo avec ses grandes lunettes qui n’est pas meilleur à faire une passe qu’un bébé mais qui est passionné à parler aux autres des livres qu’il avait lus le soir à la lueur d’une lampe. « Et ça t’apporte quoi toutes ces histoires tirées par les cheveux que tu lis Momo ? », disaient les garçons, lorsque, assis sur le muret, ils parlent de sujets divers. Ils se moquent d’Edgard et de son amour pour Anna, de Boodah qui n’a jamais connu de filles dans toute sa vie de mec en lui disant que, forcément, il doit changer de nom pour attirer les chances de son côté sinon il ratera sa vie d’homme avec un nom aussi accablant que dégueulasse. Une fois, Boodah avait pleuré à cause de leurs taquineries, il était vite rentré chez lui au bord des larmes. Tchevwanda était venu l’épauler. Un bon ami, Tchevwanda. De toute la bande, il était le seul à rester neutre aux vilaines moqueries qu’on lançait à Boodah. Tchevwanda restait tout timide, embarrassé, tripotant quelques roches par terre pendant que les autres s’acharnaient à déverser leurs méchancetés là où la joie coule : le nom de Boodah. Et Boodah qui donne des répliques, abandonné à lui-même, aux méchancetés des autres, et à l’inconfort de Tchevwanda. Et les autres qui rient de ses répliques. Et Boodah qui essaie de garder contenance. Et les autres qui foncent sur la plaie. Et Tchevwanda qui n’ose pas regarder Boodah face à la pression de groupe, mais qui n’arrive pas à se déplacer non plus. Et Boodah qui n’en peut plus, qui éclate en sanglots, et qui s’enfuit. Un groupe d’enfants sur le dos d’un autre, ça peut être de petits Piranhas quand ils le veulent.

Momo est souvent absent et ça ne le surprend pas qu’il ne soit pas là lorsqu’on se moque de Boodah. Lorsque Momo est avec les autres avant le football de l’après-midi, il occupe toute la place avec ses histoires de romans, les uns plus drôles que les autres. Il inspire quelques-uns, Momo. Kenny et Wendy l’avaient rejoint dans son monde de petits mots sur une page blanche. Ils forment un trio détaché qui parle de Les trois Mousquetaires de Dumas, de tous les tomes de Harry Potter qu’ils se sont procurés entre les mains d’un vieux bouquiniste tout près de la place qui les avait tout poussiéreux depuis trois ans et qui avait perdu tout espoir qu’un individu vienne les acheter, même au prix de liquidation-liquidation. 

Momo, Kenny, Wendy se rendaient souvent au bas de la ville pour regarder les livres. On les connaissait dans l’espace pour leur vieille manie de regarder sans jamais faire un seul achat. Ils demandaient pour tous les titres qui leur passaient par la tête. Certains bouquinistes faisaient semblant de ne pas les entendre en se prêtant à une feinte de sommeil. Ou bien, il les envoyait carrément se balader. Quant à eux, ils ne se lassaient jamais de revenir chaque matin pour de nouvelles convoitises. 

Ce jour où après avoir assemblé de l’argent, ils ont pu faire leur unique achat des tomes de Harry Potter, ils ont amené les romans dont le 3ème livre était presque tout défripé comme un butin dans le quartier. Une conquête. 

« Regardez les gars ! On va déguster tous les Harry Potter ! »

Edgard avait déjà regardé les films mais se demande bien pourquoi se donner tant de mal à lire les livres de préférence. Les films, ça doit être plus passionnant, voyons ! Les films pouvaient être passionnants, en effet. Edgard avoue qu’il avait adoré les coups de baguette dans le troisième : Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. Mais en fait, les circonstances liées à un événement influent grandement sur notre appréciation de l’événement en tant que tel. Cela doit être un défaut de circonstances pour ne jamais pouvoir tomber fol amoureux de ces films comme bon nombre de ces camarades à l’Ecole Nationale. Il avait eu la possibilité de regarder tous les Harry Potter chez Anna dans l’espoir que, retrouvant une passion commune, il arriverait à trouver un tunnel -le temps d’un rire, d’un frémissement face à une horreur-, qui les amènerait l’un vers l’autre. Malheureusement, Anna n’avait jamais rien partagé avec lui pendant toutes les séances sinon le fait de se retrouver dans le même espace. Anna grignotait du popcorn. L’espoir avait fini par consumer Edgard pour le détruire complètement le jour où il apprendra, par les autres mecs, que lorsqu’il mourrait d’attente dans le salon d’Anna comme un pauvre chien tenu en laisse en espérant qu’elle serait présente (même avec son indifférence, ce ne serait pas trop mal) pour regarder ensemble la deuxième partie de Harry Potter et les reliques de la mort, cette dernière avait passé la journée avec Sylphise, le laissant seul, triste, penaud. 

Edgard n’aimait pas Harry Potter. Edgard avait fini presque par ne rien aimer. Papouch aimait faire équipe avec lui avant pour contrecarrer Tchevwanda car il ne jouait pas trop mal. Mais, il arrive qu’Edgard avait perdu sa passion pour le ballon rond. Edgard avait essuyé une rétrograde terrible à l’Ecole Nationale et a dû faire la cinquième année fondamentale trois fois de suite avant de passer en classe supérieure à la faveur d’un maigre 5 comme moyenne. L’amour peut être méchant. Edgard mourait d’amour dans l’indifférence complète d’Anna qui avait finalement quitté le quartier pour aller vivre au Canada. Edgard n’a jamais laissé les périmètres de la ville de Saint-Marc de toute sa vie. Edgard est condamné à mourir d’un amour silencieux et sauvage. Edgard n’avait jamais déclaré sa flamme à Anna. Il espérait qu’elle le découvre elle-même. L’amour est une demi-droite chaotique pour celui qui se trouve à la lisière. Anna n’avait peut-être pas remarqué l’amour d’Edgard. Elle l’avait peut-être remarqué mais qu’est-ce qu’elle a à branler putain ? 

Les années ont changé Edgard et l’antagonisme de Papouch et de Tchevwanda. Papouch et Tchevwanda sont les seuls de toute leur génération qui ont pu faire carrière dans le Football et ils évoluent tous les deux au Tempête Football Club. 

Le quartier n’a pas beaucoup changé. Qu’est-ce que les gens peuvent changer eux-mêmes à travers le temps ! Boodah a changé de look à défaut de ne pas pouvoir changer de nom. Il a des dreadlocks maintenant et un tatouage de cœur avec le nom d’une fille en dessous sur son biceps. Une certaine Minouchera. Etait-ce la seule fille qui l’avait finalement aimé avec un nom aussi macabre comme le disaient les garçons ? 

Edgard ne rit plus. Il fume du crack avec un petit groupe à Blockhauss, son nouveau clan. 

Momo, le foutu intellectuel qui a été faire des études en Sociologie à l’Université d’Etat d’Haïti à Port-au-Prince, qui a fini par comprendre la société, selon ce qu’il affirme au nom d’une quelconque théorie dans un quelconque livre d’un quelconque philosophe, tente de parler à Edgard, de l’approcher lorsqu’il passe dans le quartier. Mais oui, Momo comprend Edgard. Momo comprend tout le monde, en passant. A chaque tentative, le sérieux du dialogue amical qu’essaie de créer Momo entre lui et Edgard ne traverse pas la froideur déstabilisante de ce dernier. On dirait qu’au contraire, Edgard a envie de plaquer un coup de poing à la gueule de Momo. 

Kenny fait du rap engagé et réussit à faire des collabos de temps en temps avec quelques groupes très réputés de la capitale qui aime son discours. Il habite toujours le quartier, mais on le voit de moins en moins circuler depuis qu’il est star reconnue. Il doit quotidiennement jouer entre deux roues pour soigner son image d’artiste et le manque de sou qui le gangrène. S’éclipser un peu est très intelligent dans ce cas-là. 

Wendy vend des produits pharmaceutiques au marché et habite maintenant tout près de l’Ecole Wellesien au Cité Verna. Il vient certaines fois au quartier pour voir sa petite amie Jésula, une belle bougresse originaire de Desdunes qui vient voir ce que la vie peut apporter de neuf dans une commune relativement éclairée. 

Le quartier n’a pas beaucoup changé en termes d’apparence mais l’effervescence de ses grands jours avec les enfants de la génération de Momo est partie en fumée. Ne restent que des souvenirs pour ceux qui peuvent encore s’octroyer le luxe de se souvenir quand il y a l’instinct de survie qui veut nous habiter dans ce petit pays. Ou s’il y a une personne qui doit bien se rappeler de certaines choses, qui a pu observer chaque génération dans son unicité et sa préciosité relative, qui raconte encore des histoires aux enfants de la nouvelle génération qui pensent au moment que l’enfance, les relations sont éternelles mais qui s’en iront dans quelques années comme les autres avant eux parce que leur génération n’est pas aussi spéciale qu’ils doivent le penser ; s’il y a une personne qui s’attache à des souvenirs vagues pendant qu’elle peut encore se les rappeler avant de passer pour l’éternité, c’est peut-être Man Jacques devant sa petite boutique qui n’a bougé d’un iota face au dynamique des clans, de leur histoire et du temps.

 

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7 commentaires
  1. Marc-Nicolas dit

    💯💯

  2. Cherlan-Miche PHILIPPE dit

    King Ishu😎! Thanks.

  3. Ovilma Mykenson dit

    Mèsi mkwè tout katye a ap fyè 2 ou zanmim

  4. Cherlan-Miche PHILIPPE dit

    Mèsi patnè m’, Mykenson🙂. Sa fè m’ plezi!

  5. Bernatoto dit

    Fier de vous mon cousin-mentor

  6. Laurent JOSEPH Louis dit

    T’es un cerveau brother. Félicitations à toi!

  7. Cherlan-Miche PHILIPPE dit

    @Bernato, Kouzzo😎. Mèsi anpil kouzen.

    Mon ami @Laurent, je me sens honoré😎

    Venant de vous @Bernato, @Laurent, c’est du lourd ça🙏

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