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Tout ce que tu ne m’as pas dit, mon ghetto

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Cet après-midi-là, le ciel m’était tombé sur la tête et j’entendais les colères de la foudre disloquer les os de ma face. Je n’ai rien compris tout de suite sinon que j’allais rater un rendez-vous.

***

Décembre arrive. Chaque matin je sens sur mon visage une brise fraiche qui, comme un baromètre, m’apportait les exhalaisons que charriait la ville. Une odeur de pourriture et de boue qui n’arrivaient plus à déranger mes narines. Le marché a toujours été près du bidonville dans lequel je vivais depuis qu’il m’ait été permis de comprendre quoi que ce soit.

Décembre était l’époque le plus aimé des jeunes de mon quartier. Les parents étaient plus enclins à laisser leurs jeunots passer une à deux heures de plus que l’heure habituelle dans les rues. Et c’était l’instant rêvé pour nous, pour nos fantasmes qui commençaient à maigrir faute de substance dans un coin sur nos oreillers. Alors, je vous dis que j’étais fébrile et excité parce que non seulement décembre venait mais j’allais avoir mon premier rencart avec Annia.

Annia n’était pas une fille comme les autres, nous avions grandi ensemble, je l’ai accompagnée dans presque toutes les étapes de sa puberté et elle aussi. Je n’aurais jamais cru que je tomberai amoureux d’elle un jour et elle non plus. Elle avait déjà un corps de femme et attirait déjà les regards des seigneuries du bidon. Ce n’était pas le béguin. Je savais comment on en distingue du vrai amour mais je savais dur comme fer que je ne pouvais me permettre d’offrir pareil sentiment à cette jeune femme-là. Je rêvais d’elle tous les soirs et elle savait. Je l’avais épinglée dans ma conversation sur Whatsapp. Je l’avais épinglé partout. Elle était devenue ma raison de vivre.

Ainsi, secrètement, je fantasmais sur la façon dont j’allais devoir offrir une vie de reine à cette dame qui avait pris d’assaut mon cœur de jeunots mais je butais souvent contre du blanc. Je filais vers des horizons utopiques de l’imagination pour finir rattrapé par la réalité qui me laissait alors avec cette angoisse me coffrant les bronches m’empêchant tout à coup de respirer. Nous vivions dans un bidonville et il semblerait que notre avenir était tout tracé.

J’étais en classe de terminale et je chérissais déjà le rêve de rentrer à l’université. Mes parents n’avaient pas trop de moyens, l’un était pécheur et l’autre vendait des vivres au marché de la Croix-des-Bossales. Il fallait coute que coute que je rentre dans une faculté publique mais je me sentais déjà baisé d’avance car les bases que l’école étaient sensées me fournir étaient mal jetées. Annia était devenu la raison pour laquelle je m’accrochais à ce rêve de devenir quelqu’un. Je ne voulais pas laisser le pays. Je voulais juste quitter ce bidonville.

Je m’étais toujours senti coupé du monde, la réalité est tout autre dans un ghetto. On frôle avec la mort tous les jours et cela ne nous étonne plus. On vit dans des maisons serrées les uns sur les autres et nous devenions plus petits. Nous sommes sous la férule de malfrats que la politique malsaine a outrageusement donné droit de vie et mort sur nous. Les femmes déjà victimes du machiste mental de la société, se retrouvent à la merci de ces bandits. Et c’est l’un de ces moments que je jubile de n’avoir jamais eu de sœur. Annia résistait encore mais elle savait que si elle restait ici, elle n’en avait plus pour longtemps. C’est pourquoi, on avait pris la décision de fuguer après la Terminale. Partir loin de toute cette crasse.

Je n’avais pas encore connu la chair d’Annia, on avait choisi de prendre patience. Mais j’ai connu la douceur de son regard, sa détermination dans sa façon d’avaler de grandes gorgées de bière, ses yeux qui pétillaient d’intelligence et un corps qui appelait à l’aide. Elle était une partition unique dans le concerto d’un univers en perpétuelle expansion, livrant un peu plus ses beautés aux confins du cosmos. Et ce morceau m’avait séduit. Oui, nous allons accomplir quelque chose de grand, ensemble.

Une femme belle dans un monde démuni porte sa beauté comme un fardeau. Je savais que je n’étais pas le seul à courtiser Annia. Des sénateurs, des députés étaient sur le coup aussi. Elle me l’avait dit. J’ai paniqué mais elle m’a rassuré qu’elle n’allait pas devenir quelqu’un d’autre pour de l’argent. Elle ne croyait qu’en moi. Le seul homme bon qu’elle a connu réellement. Son père ayant été un salaud qui battait constamment sa mère.

13 novembre, il n’existait pas de ciel aussi bleu depuis toute ma vie dans ce bidonville en décrépitude. La journée allait être bonne, ce soir j’avais rendez-vous avec Annia. Je me mis à danser sous la douche rien qu’en pensant à elle. Le professeur d’algèbre a été soporifique, il semblait lui-même ne pas savoir ce qu’il faisait.  J’eus un regard circulaire dans la salle et j’eus un serrement de cœur, l’avenir du pays était dans un piteux état, la fraction d’une seconde, je me voyais au bord d’un avion laissant cette terre jaune de désespoir. Mais bon, je me laisse couler doucement dans les bras de Morphée tandis que la couleur de mes rêves changeait. Je fus brusquement réveillé par le professeur de philosophie qui se tenait debout devant moi, les sourcils en circonflexe, la glabelle plissée, les lèvres noires de nicotine. Je repris alors sa lecture sur les valeurs morales selon H. Moncy. Je pensais à Annia, elle était quelque part, en train de s’occuper de la boutique de sa mère.

Midi, je ne voulais plus rester à l’école, d’ailleurs à quoi bon ? Les professeurs de l’après-midi n’allaient pas se pointer. Alors, je pris le chemin du retour, je mis mes écouteurs et poussa à fond. « Mizik sove vi m » de D-fi powèt Revolte, je n’étais pas grand fan mais le type savait dire les choses telles qu’elles sont, il racontait le ghetto, en d’autres terme il racontait ma vie. Perdu dans la mélodie, je me demandais qui allait me sauver moi ? Annia ? Mes Parents ? Mes rêves ? Ou la mort ?

Peut-être la mort, celle-ci s’invite toujours là où l’on s’y attendait le moins. Je ne voulais pas mourir si jeune, plein de rêves, plein de fougues, même quand je n’avais pas encore trouvé la force qui me pousserait à me battre pour un changement. Sans m’en rendre compte, les larmes me montèrent aux yeux, mes narines me piquèrent. Je traversais nonchalamment les étalages des vendeuses de la Croix-des-Bossales. J’en avais assez des détritus, de l’odeur, de la boue, des porcs qui nous riaient de les côtoyer d’aussi près. Je trouvais ma mère qui me donna de quoi me préparer quelque chose en attendant le repas du soir. « Bal Mawon », je rentrais chez moi, je me laissai aller sur le lit. Annia remplissait ma tête, j’eus un sommeil lourd.

« La mort s’invite toujours là où l’on s’y attendait le moins. »

Un coup de feu me réveilla brusquement. Mon cœur, sans comprendre d’où venait le danger, commença déjà à grimper dans ma cage thoracique. J’étais en sueur. L’écho du son me vrillait encore les tympans. C’était toute proche. Qu’est-ce-qui se passait ? Jamais les gangs n’opéraient aussi près dans la zone. Une mitraillette claqua soudain et des hurlements fusèrent. De la fumée me parvint là où j’étais. Mais qu’est-ce-qui se passait bordel ?  Je regardai l’écran de mon téléphone, il était 4h30 PM et j’avais une quinzaines d’appels manqué d’Annia. Elle était peut-être en danger. Je me précipitai vers la porte lorsque celle-ci éclata en mille morceaux, la déflagration me plaqua au sol tandis que des copeaux de bois pénétraient dans ma chair.

Des individus en cagoule s’engouffrèrent dans la maison, leurs bottes étaient sales, un mélange de poussière et de sang séché. L’effroi s’empara de mon être, je tremblai tandis qu’ils m’environnèrent et que mon corps subissait l’assaut haineux de leurs bottes. Des coups qui me brisaient les cotes, s’enfouissaient douloureusement dans mon abdomen tandis que ma bouche s’emplissait d’une marée de sang que je vomis au bord de l’étouffement. Je sentis qu’on me prit par le pied et on me traina au dehors. Mon visage racla le sol, et plus de douleur s’ensuivit.

Le soleil me frappa et m’obscurcit la vue. Je me voyais déjà fuir la terre pour m’expandre dans l’élasticité du cosmos. J’entendis une plainte, une voix, un cri que je reconnaitrai entre mille. Je tournai la tête lorsque je la vis qui se débattait sous la poigne de deux agresseurs qui la frappait, la défigurait. Je voulais pousser un cri, faire quelque chose mais ils m’avaient déjà enlevé tant de force. Ils la frappèrent, elle était étourdie, ses vêtements déjà en lambeaux, je pressentis l’acte odieux qui allait venir.

Je ne souffrais plus pour moi-même. Je ressentais dans ma chair l’humiliation qu’elle était en train de subir. Ce ghetto, pris de tous les côtés par les gangs, avaient fini par avoir raison de nous. Nous n’avons pas pu le fuir. Il est venu à nous et il a déchainé l’enfer. Mon ghetto cache la mort dans sa vareuse et on s’en résigne. Mourir est devenu tellement normal. Le trou de l’automatique était menaçant, le ciel venait vers moi tout d’un coup, il cracha des flammes, le tonnerre grondait dans ma tête et je sentais les os de ma face se disloquer. Des pensées rouges, sortant à gros bouillon, inondant cette terre que je voulais fuir.

Je ne saurais jamais si Annia avait survécu au viol, je n’aurais plus de rêves, je n’aurai plus de chances, je n’aurai plus cette fougue. Je ne saurai point ce qu’il adviendra de mon bidonville, je ne saurai pas si nous serions encore coupés du monde après ce qui venait de se passer. Aura-t-il une enquête ? La justice sera-t-elle à la hauteur ?

Tant de questions pour un adolescent dont la pensée se désagrégeait, avalée par un néant glouton. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas mourir. Alors, ne m’oubliez pas.

Eder Apollinaris S.

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3 commentaires
  1. Mervil john Gerald Stanley dit

    L’histoire de ma vie, des mots qui expriment ce que je vis aux quotidiens.
    Toutes mes félicitations tu viens de raconter l’histoire de tous les jeunes qui vivent dans des quartiers populaires.
    Merci d’avoir utilisé tes mots pour exprimer ce que nous vivons dans le getho.

  2. Pradley Vardly Vixama dit

    Je ne me lasse toujours pas de lire ce texte! Une triste réalité que tu décris ici…

  3. Cherlan-Miche PHILIPPE dit

    Le récit me fait penser à la mort tragique de ces deux jeunes danseurs. Tout Haïti-Port-au-Prince est un ghetto quand on peut se faire happer n’importe où n’importe quand. Triste et réel.

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