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Le Thermos de mon Père

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J’aime beaucoup ma copine. Elle est tout ce que j’ai. Vous savez, c’est le genre d’amour qui vous porte à imaginer plein de trucs : une maison, une voiture, des gosses et un chien. Ma copine a apporté plein de bons trucs dans ma vie. Au fait, elle a tout apporté. De l’amour, du mouvement, des promesses, de la passion, mais par-dessus tout, le sexe. Oui, faut dire que ce dernier truc manquait inlassablement à ma vie. Ma copine est venue dans ma terne existence pour y remédier. Et je dois dire que depuis, sur ce point-là, je n’ai pas à me plaindre.

J’ai emmené ma copine rencontrer mon père. Après trois mois de relation, j’ai décidé qu’il nous fallait donner une autre tournure à celle-ci. Je n’avais plus envie de vivre cette relation dans le noir, ni d’empêcher à mon père de voir mes statuts whatsapp à chaque fois que je postais une photo de ma douce chérie. Je ne suis plus un enfant, et un homme, ça doit à tout prix prendre ses responsabilités et fonctionner de façon correcte et juste.

Je vis seul avec mon père depuis déjà douze ans. Je n’avais que onze lorsque ma mère partit vers l’au-delà, emportée par une stupide fièvre. Depuis, lui et moi, nous avions tout fait pour nous entraider. Je n’ai plus jamais eu de figure maternelle à la maison. Mon père ne s’est jamais remarié, une promesse qu’apparemment il avait faite à ma mère avant qu’elle ne meure. Mais je le suspecte d’avoir des « ti zanmi ». Il ne vient jamais avec elles à la maison, mais je crois être tombé une ou deux fois sur des messages assez explicites. Je ne lui en veux pas, je ne lui ai jamais tenu rigueur d’ailleurs. Ça doit se sentir triste et vachement seul un homme qui n’a pas une femme pour lui casser les couilles de temps à autre !

Mon père est rapidement tombé sur le charme de ma copine. Tout le monde tombe sur son charme d’ailleurs. Je dois avouer qu’elle est terriblement intelligente et qu’elle a le don, avec sa mélodieuse voix, de capter les attentions à chaque fois qu’elle prend la parole. Cela ne m’a donc guère étonné de voir mon père lui faire longuement la conversation. Il lui a fait du jus de cerise. Ma copine lui a congratulé pour le gout exquis de son breuvage. Devant le regard amusé et appréciateur de ma copine, mon père, comme il le fait toujours d’ailleurs, a gardé un peu de jus pour lui dans son thermos noir, qu’il a ensuite placé dans le réfrigérateur. J’ignore pourquoi, mais cette action a eu pour effet d’arracher un long et sincère sourire à ma petite amie. Je ne l’ai jamais vu autant sourire, même pas à une de mes blagues. Faut croire que ce thermos possède certaines vertus dont j’ignore.

Ils ont longuement discuté, de religion, de guerre, de paix, de cuisine, et moi, je suis resté pendant tout le processus à sourire, tel un forcené, me sentant assez gauche, un peu plus gauche que d’habitude. Au moment de faire les séparations ce soir-là, mon père l’a appelé ma fille. Ils ont même échangé leurs numéros de téléphone. J’étais heureux, j’avais réussi mon coup. Je pouvais à présent, en toute liberté, poster les jolies photos de ma copine sur mon statut et enfin enlever mon paternel de la liste des indésirables…

Il n’a pas tari d’éloge au sujet de ma copine. Pour lui, cette fille était une petite merveille, un doux cadeau céleste et moi, j’avais de la veine si une fille comme elle avait pu s’intéresser à un gars comme moi. Je ne crois pas avoir essayé de comprendre ses propos. Mon père n’oserait jamais dire de mauvaises choses sur son fils unique. Il est vrai que je ne suis pas le type le mieux bâti du monde, mais je demeure son fils après tout, non ?

Mais à bien y réfléchir, mon père, atteignant doucement son cinquantième anniversaire reste toujours un mec propre sur lui, plein de vigueur, luttant secrètement contre la vieillesse. Il se teint les cheveux en noir à coup de « gòdrèj » et connait parfaitement le jargon des jeunes, bien plus que moi d’ailleurs. Je dois avouer que je suis un peu introverti, asocial sur les bords et un tantinet timide. Peut-être a-t-il raison au final : comment une fille comme elle a pu s’intéresser à un gars comme moi ?

Entretemps, ma relation avec ma copine va pour le mieux. Je l’aime bien et j’aime ce que nous nous efforçons de construire. Notre relation est solide, on se dit tout, on est heureux, jeunes et honnêtes. Je pourrai, les yeux fermés, confier ma vie à ma dulcinée. Je sais qu’elle prendra à coup sur les bonnes décisions. Récemment, elle m’a confié que j’étais le bon et que plus jamais un homme ne pourrait occuper son cœur comme moi je suis parvenu à le faire. J’ai littéralement dansé sur le chemin du retour.

Et aujourd’hui, mon père a invité ma copine à diner avec nous. J’ai oublié de mentionner qu’il est également un excellent cuisinier le mec. Je ne sais pas pourquoi, mais il m’arrive de le jalouser un peu. Pourquoi sait-il tout faire, mon père ? Il a cette dextérité dans les gestes, cette habileté dans sa façon de faire les choses. Certaines fois, et quand je dis certaines fois, je veux dire tous les jours, je me dis que jamais je n’arriverais à l’égaler. Ça doit être le calvaire de tous les enfants qui ont un père parfait.

Macaroni gratiné, Farce de poulet, lasagne, Riz noir aux écrevisses… Mon père nous a concoctés, en ce dimanche après-midi, à moi et à ma copine, un véritable festin de roi. Il nous a aussi préparé son traditionnel jus de cerise, encore meilleur que le précédent. Il a ensuite effectué le même geste : il a mis du jus dans son beau thermos noir de 21 cm de longueur et étonnamment bien membré, l’a précautionneusement fermé puis l’a placé dans le réfrigérateur avec une délicatesse et souplesse digne d’un homme draguant à peine une fille qu’il vient tout juste de rencontrer. Tout cela devant l’admiration la plus totale de ma copine. Elle a apprécié la scène avec une passion déroutante dans les yeux, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés. A un moment de la durée, je crois avoir eu un haut-le-cœur, mais je ne dis rien, je suis plutôt du genre à suivre et observer, et cette situation est pour moi des plus déplaisantes.

Une fois le diner terminé, j’ai proposé à ma copine de la raccompagner chez elle. Elle a accepté volontiers. Perdue dans une énième discussion avec mon père, je me suis déplacé, histoire d’aller soulager ma vessie. Là, je me suis bizarrement vu en train de sourire, remerciant la vie pour mes petites bénédictions, cela fait du bien de savoir que l’on peut compter sur des gens. Sur mon père et ma copine, mes deux socles, mes « bwa dèyè bannann ! ». Ça doit être ça l’amour, ce sentiment que j’éprouve, cette certitude d’avoir une place de choix dans les rêves de certains…

Je suis toujours dans mes pensées quand une chose attire mon attention. Une voix. Celle de ma copine. Sa voix mélodieuse proche de l’oreille de mon père, lui murmurant entre deux sourires:

  • Vous savez, je meurs d’envie de boire dans votre thermos, Monsieur…

Je reste figé, mon cœur rate un battement. Non, deux battements. J’ai la gorge subitement sèche, j’ai envie de détaler, mais je n’y peux rien. Mon père lui rend son sourire, je m’approche un peu, ils se redressent, tous deux me paraissent gênés.

Plus jamais je ne laisserai ma copine parler avec mon père !

Pradley V. Vixama

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