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Il y a le soleil au loin pour nous aveugler I

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Cette fille qui t’aime comme un pas sans avenir

Marc Cauvin
SANDRA

Sandra se tortille sous la couette à cause de l’insomnie. Elle se retrouve avec le silence pesant de la nuit, en proie à ses démons. Cette sensation ne lui est pas tout à fait étrange. Petite fille, elle se souvint qu’elle avait l’habitude de rester jusque très tard le soir devant la télé, seule, à regarder ces films de vampire qu’elle adorait tant et qu’une fois même, en plein dans les horreurs de Aux frontières de l’aube, il y eut une coupure d’électricité qui lui laissa de légers acouphènes aux oreilles. Elle fut obligée de se réfugier sous le ventre de sa mère.

— Les grandes dames dominent leur peur, lui chuchotait tout bas la femme qui faisait plus d’un mètre quatre-vingt et qui avait une carrure imposante à cause de ses longues séances de gym.

Avec sa mère Roselande, Sandra s’était toujours sentie comme armée d’un bouclier. Elle a grandi dans une famille monoparentale. Son père, Roger, que des étudiants avaient fini par affubler du pseudonyme Hipparque à cause de sa grande passion pour la Trigonométrie, enseigna les Mathématiques à l’Université d’Etat d’Haïti pendant trois ans, ensuite, il immigra aux Etats Unis d’Amérique. C’était au début des années 90. Dans ses premiers jours, il donnait de temps en temps de ses nouvelles au travers de cassettes pré-enregistrés qu’il faisait livrer par des facteurs qui rentraient à Jérémie, cette commune du département de la Grand’Anse. Après un certain nombre de temps, il ne donna plus signe de vie. Les dernières nouvelles que Roselande  et Sandra eurent de lui, c’était qu’il s’était marié, avait refait sa vie là-bas, lui qui avait pourtant promis à Roselande qu’il régulariserait sa situation très vite chez l’Oncle Sam et qu’il reviendrait les chercher, elle et la fillette, pour les emmener avec lui. 

Sandra n’a pas vraiment expérimenté la douleur de l’absence d’un père dans sa vie. Roselande était cette maman-papa toujours à l’écoute de sa fille. Roger est le seul homme que sa mère ait connu durant toute son existence. Elle n’a pas voulu donner de beau-père à Sandra. A quoi bon ? Le petit boulot de caissière dans la Caisse Populaire SOCOJAM avait permis à sa mère de lui payer correctement sa scolarité au Collège Saint-Joseph et lui offrir sinon une vie de luxe, une vie de princesse. Rien à envier à aucun autre enfant. 

Roselande ne ratait pour rien au monde, l’occasion d’être là, pour admirer sa jolie demoiselle dire sur scène des poésies qu’elle écrivait dans ses cahiers d’écolier. Sandra était reconnue comme la « poétesse » dans toute l’école. A chaque événement, on lui laissait toujours un peu d’espace pour une petite déclamation et elle ne manquait jamais d’éblouir l’assistance.

Après le baccalauréat, en 2012, Sandra rentra à Port-au-Prince où elle étudia pendant quatre ans le Droit à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques. Il est de ces choses qui nous rattrapent toujours. L’écriture devait sûrement être à ses trousses. C’est du journalisme qu’elle fera carrière. Elle travaillera à la section culture d’un vieux quotidien de la capitale pour laquelle elle produira nombre d’articles critiques littéraires.

Ce doit être dans l’une de ces foires du livre qu’elle l’avait rencontré. Elle ne se souvient pas trop bien. Elle a été envoyée par le journal pour un article sur l’événement. Malgré l’étendue du parc historique de la Canne à Sucre, il paraissait ne pas pouvoir contenir cette foule immense de gens venus de tous les coins du pays, celui-ci, pour rencontrer son auteur favori et prendre une selfie avec lui, celui-là, pour profiter d’une réduction accordée sur tous les tomes d’Histoire d’Haïti de Thomas Madiou dont il a besoin pour mieux dispenser ses cours de Sciences Sociales. 

Sandra consignait le mot « étranglement » dans son carnet — Sans doute, pensait-elle à ces auteurs célèbres envahis sous leurs tentes par des lecteurs férus de leurs ouvrages venus prendre un autographe — lorsque l’homme s’arrêta près de lui, ses deux bras le long du corps, le Canon EOS dans sa main droite. Il lui avait demandé de la prendre en photo, un peu timide. Maladroitement.

— Un média de la capitale… de province ?

Elle trouvait l’idée d’une présence sur les médias sociaux pour vendre une autre image d’Haïti géniale. Alix prenait des photos de paysages, de plages et de certains événements publics qu’il partageait sur Facebook, Instagram et Twitter.

  — Et pourquoi le nom ParAyiti pour tes pages ? lui avait-elle demandé.

  — Pour tout te dire, avant, j’avais pensé à Paradis. Mais bon, le terme parAyiti m’est passé par la tête et j’ai décidé de le retenir à cause de sa sonorité qui se rapproche fort bien de Paradis… Et, en fait, je le trouve très parlant.

Très rapidement, ils s’étaient familiarisés. Ils avaient passé le reste de la journée ensemble sur le soleil aride de Port-au-Prince, à travers cette cohue houleuse. Sandra se sentait bien en la compagnie d’Alix. Roselande l’avait élevée avec un certain mépris pour l’autre sexe. « Les hommes, tous les mêmes, ne te fies jamais à eux mon trésor. » Mais, pour une fois, elle entrevoyait la présence d’un homme dans sa vie. Elle avait pensé à son père, ce père qu’elle n’avait pas vraiment connu. Au micro, une voix féminine s’éleva pour indiquer qu’il y a rupture de stock pour l’invité d’honneur, elle n’y prêta guère attention, ne songea pas à noter l’information dans son calepin. « Les lecteurs se sont jetés sur les livres d’Untel ». « Rupture de stock ». N’importe quoi qui lui permettrait de s’en souvenir. 

De toute façon, elle trouverait des choses à raconter. Il y a toujours des choses à raconter.

Ils avaient échangé contact, Alix et elle. Il n’avait pas longtemps attendu pour l’écrire. À peine rentrée chez elle, elle trouva un message de ce dernier lui avouant combien il aimait sa personnalité et qu’il aimerait la « connaître davantage ». Connaître davantage ? Elle avait voulu lui demander une explication sur ce qu’elle comprenait déjà. Mais, elle se retint. Elle sentit qu’elle-même prit plaisir à ce jeu très alambiqué, très excitant aussi.

Ils commencèrent à sortir ensemble. Une sorte de flirt. Rien qui se dit mais tellement grande la complicité. Un jour, à Kenscoff, dans une petite excursion qu’ils avaient organisé dans un parc, elle n’avait pas pu se retenir. Elle l’avait embrassé sur les lèvres alors qu’ils étaient assis sur un banc. Dans un premier temps, sèchement. Ensuite, avec une grande voracité comme si elle était en train de croquer une mangue Francisque à pleines dents. Il avait répondu avec la même ardeur à son baiser. Il voulait ça. Forcément un rêve ça. Tel jeune poète décrirait la situation comme « l’envie de faire pipi en plein cœur d’une occasion toujours rêvée. » La force du désir mutuel. Ils s’en foutaient pas mal des regards curieux des rares visiteurs qui étaient présents ce jour-là au parc. A l’ombre d’une pergola, ils commençaient à vivre ce qu’ils désiraient depuis cette première rencontre sans jamais oser se le dire.

Ces images habitent encore Sandra. Elle n’a pas vu le temps passer. Au début, elle avait adoré cette présence masculine dans sa vie, si tendre, si prévenante, si chaude. C’était comme un grain de sel. Bonheur ! Ô Bonheur ! Elle lui avait un jour écrit un petit poème pour lui témoigner son amour. Il l’avait pris vaguement. Est-ce qu’il l’avait gardé en lieu sûr, ce poème ? Est-ce qu’il avait autant considéré son expression à elle, du moins comme elle l’aurait souhaité. Il paraissait si occupé à faire marcher leur vie de couple, à prendre l’initiative, à remplir son devoir d’homme. Merde, ne comprenait-il pas que leur symphonie ne nécessitait guère note virilisée pour rester debout ? Et puis, elle  commença à le sentir trop étouffant, absorbant pour sa propre vie. Trop possessif à son goût. Elle perdit son flegme, son enthousiasme pour garder leur « chose ». Alix avait pris trop de place, toute la place. C’est lui qui a causé cette espèce d’écoulement dans leur relation. Il ne le lui a pas laissé libre champ pour exprimer ses propres émotions. Trop égoïste ça. Elle a dû lui faire la remarque en douce dans une de leurs conversations. Comme toujours, il n’a pas assez prêté attention. Il l’a laissée seule avec seulement la nuit pour écouter ses désirs.

Il est couché tout près d’elle sous la couette. C’est comme s’il n’y était pas.  Son cœur bat. Elle est sûre qu’il ne l’entendra même pas.

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