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Fracas de Coeur

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Il était dix heures du matin, je venais de prendre mon café quotidien avant de pénétrer mon bureau. Après que la vie me fit voir de toutes les couleurs, mon cabinet était probablement ma compensation tant que j’étais fière.  Cette fois-là, mes yeux parcoururent la pièce sombre qui me rappelait que je ne pouvais être plus satisfaite.  Le décor n’était pas chaleureux mais il me convenait amplement car il me rappelait que malgré les aléas de la vie, ma mère n’avait pas renoncé à son combat. Étant le fruit d’un viol, je n’avais jamais connu mon père. Néanmoins, j’étais comblée, je n’avais pas eu une vie de princesse mais j’avais eu une mère soucieuse qui faisait son possible pour m’offrir le nécessaire. Bien dommage, Dieu me l’a enlevé beaucoup trop tôt, il me l’a pris avant même que ses pieds eussent la chance de pouvoir fouler mon cabinet. Elle n’avait pas eu le temps de contempler son œuvre mais sa photo accrochée au mur était ma façon de lui rendre hommage.

 Je l’attendais dans mon second séjour, mon cabinet. Je lui avais été référée par sa meilleure amie que je suivais depuis un an. Elle m’avait parlé d’elle, une femme anxieuse, certaines fois hystérique, d’autres fois calme à faire peur. C’était sans doute ces changements d’humeur qui inquiétaient Sabrina. J’étais impatiente de la rencontrer mais son retard ne me dérangeait pas car Sabrina avait été assez claire, son amie nécessitait vraiment de mon aide. Je ne l’avais pas encore rencontrée mais à mes yeux elle n’était pas qu’une femme ordinaire, c’était une mère, une maman dévouée pour le bonheur de sa fille.

J’ai patienté pendant une trentaine de minutes avant de rencontrer cette mystérieuse bonne femme. Elle était de petite taille, visage pâle, regard vide, trop mince pour sa taille à mon goût. Elle semblait stressée comme la majorité de mes patients lors de leur consultation mais, quelque chose en elle était différente des autres. Assise sur le fauteuil en face de moi, elle me renvoyait l’image d’une petite fille perdue, elle ressemblait à un enfant qu’on emmenait visiter la rue pour la première fois de sa vie. Son visage fatigué, ses yeux mi-clos, me donnaient l’impression qu’elle était seule au monde. Mais, je savais qu’elle était mariée et avait une fille.

Je ne pouvais m’éviter de contrôler ses mouvements, simultanément elle faisait des mouvements circulaires avec ses mains et battaient ses pieds sur le sol. Ses yeux partaient des tableaux au bureau, et du bureau à moi. Elle répétait ses mêmes mouvements sans cesser de jouer avec ses mains et ses pieds.

-Madame Paul. Lui avais-je dit pour attirer son attention

-Docteur, je vous assure que je n’ai pas besoin d’aide, je suis une bonne épouse, une mère aimante, je fais ce que je dois faire et je les fais bien. Je ne sais pas pourquoi Sabrina m’a mis cet ultimatum mais je vais bien. » Répondit-elle en s’affolant.

-Madame Paul, détendez-vous, ce n’est qu’une consultation, nous allons seulement parler et après, comme vous êtes sûre ne pas avoir besoin de moi, vous rentrerez chez vous.

Depuis le début, je savais qu’elle ne partirait pas de si tôt mais le besoin de la rassurer avait pris le dessus.

-Vous aimez jouer avec votre main ? Avais-je réussi à lui demander.

-Depuis l’enfance, j’ai grandi avec cette manie, je ne peux m’en débarrasser. Mais Docteur, ce sera juste une perte de temps, je vous le jure.

-J’aime perdre mon temps, ne vous inquiétez pas, essayez de vous calmer, vous êtes ici pour cela. Trouvez une position qui vous ait favorable, je veux que vous vous sentiez à votre aise ici.

-Merci de votre gentillesse. Elle regarda autour d’elle, puis quelques secondes plus tard, me demanda : « Puis-je me coucher ici? »

« Tout à fait ». Répondis-je guidé d’un sourire. Elle s’installa sur le fauteuil, mais continuait à trembler. Je ne pouvais savoir si c’était le stress ou la peur. Le plus dur, je ne savais pas non plus comment m’y prendre pour l’apaiser. Cependant, Je réfléchissais à une méthode pour lui aider à se confier. Mais, je ne pouvais m’arrêter de me demander comment une femme de 30 ans pouvait-elle réagir de cette manière? Une épouse! Une mère de famille!

Quand, par bonheur, elle fut détendue, je lui demandai: « Et si vous me parlez de vous. » Ce qui m’a valu un sourire triste avant qu’elle me jeta à la figure: « Je n’ai pas d’histoire. » juste avant de se recoucher sur le dossier.

-Mais tout le monde a une histoire. Lui avais-je répondu doucement.

« Peut-être, moi je n’en ai pas, je fais partie de leurs histoires. Sincèrement, je n’en ai jamais eu »

-Vous vous appelez Juslène Paul, n’est-ce pas?

-Juslène Mardi Paul. Paul est le nom de mon mari, mes amis m’appellent Juju.

-Puis-je vous appeler Juju?

« Les amies de Sabrina sont mes amies. » Ce qui m’avait fait sourire devant ce tableau qui se trouvait sous mes yeux, je perdais mes moyens vis-à-vis d’un tel élan affliction, je revoyais en elle le regard perdu de ma mère. Elle était aussi fragile qu’elle, ma mère était une combattante mais Juju semblait se résigner. Sa fragilité m’empêchait de lui parler, je devais contrôler mes mots pour ne pas la faire souffrir plus qu’elle ne souffrait déjà. Au fond, je priais pour qu’elle me parle, je savais quoi lui dire mais je ne savais comment commencer. Puis, soudain, elle me dit : « Elle a pitié de moi. »

-Pardon.

-Sabrina. Elle a pitié de moi.

« Mais pourquoi ? » Lui avais-je demandé stupéfaite. Elle m’avait regardé dans les yeux à ce moment-là puis avait ajouté : « Il me bat tous les jours avec ces serviettes mouillées. Seule Sabrina est au courant, elle pense que je devrais le quitter mais je ne peux pas. »

-Mais, pourquoi vous frapper Juju?

-Avant parce que j’avais des amis, puis parce qu’il m’avait exigé de quitter mon boulot que j’avais refusé, maintenant je ne sais plus.

-Vous aimez cela?

-Ma fille va bien comme ça, il ne la frappe pas. Elle est heureuse ainsi, elle est intelligente, elle a de très bonnes notes à l’école, elle est jolie, je ne veux pas qu’elle aille à l’école avec des tâches sur le corps, j’en mourrais. 

Je n’avais pas réussi à lui dire quelque chose, je restais là à la regarder. J’imagine que c’était mon regard qui l’a fait dire : « Je sais que ça passera, Julien m’aime, j’en suis sûre. »  Comme si elle voulait se forcer à y croire.

-Mais, pourquoi frapper quelqu’un qu’on aime?

-Je ne sais pas. Après tout, mon père me frappait aussi, je savais qu’il ne m’aimait pas. Mais, quant à Mère, il l’aimait mais il la frappait quand elle désobéissait, pourquoi ce serait différent pour moi?

Je pouvais répondre à sa question mais elle était trop délicate pour lui faire voir la raison. Elle acceptait ce qu’elle vivait. Pire, sa situation lui semblait tout à fait normale. Comment? C’était la question qui me taraudait l’esprit. Visiblement, son enfance n’avait rien de rose. Elle connaissait la maltraitance, et ne voulait pas prendre conscience.

« Parlez-moi de votre enfance Juju s’il vous plaît. » Lui avais-je demandé pour comprendre, mais des larmes descendirent sur ses joues et le regret me rongea le cœur. Mais il le fallait. Alors, pour l’inciter à confesser, je lui murmurai: « s’il vous plaît Juju, pour votre fille, laissez tout sortir. »

En une fraction de seconde, elle me semblait réfléchir puis elle me dit entre deux sanglots : « Je suis née jumelle, mère nous adorait, on était ses bijoux, des enfants gâtés, mais papa ne voulait pas d’enfants. Il passait rarement du temps avec nous, on était que nous trois à la maison. Il passait son temps dehors, mère nous disait qu’il était toujours pris par son travail. Puis, vint cette épidémie, ma sœur y avait touché. Papa était absent plusieurs jours et ne donnait aucun signe de vie. On l’attendait pour l’emmener à l’hôpital dans la soirée, je lui demandais de l’emmener mais elle voulait voir mon père arriver. Elle disait que ce n’était pas si grave. Je ne pouvais regarder ma sœur mourir sous mes yeux, alors j’avais appelé la voisine pour qu’elle la transporte à l’hôpital mais elle n’y est pas arrivée. Elle est morte en chemin. Tout le monde a pris mère pour responsable même mon père qui ne nous avait jamais calculé.  Quelques temps, il avait sombré dans l’alcool. Ensuite, il commença à me frapper pour tout et n’importe quoi.  Et quand maman décida de prendre ma défense. C’était elle qui se faisait frapper pour moi. » Elle s’était tu après ce récit, elle avait visiblement mal mais elle devait continuer, pour l’encourager à le faire, je lui ai dit: « Laissez tout sortir Juju, revenez cette petite fille et racontez-moi. »

Je la vis essuyer ces larmes et recommencer son récit: « Ses coups l’ont tuée, elle est morte à cause de moi. C’est moi qu’il détestait et pas ma mère. Je veux une vie meilleure pour ma fille Docteur, elle ne se fait pas frapper, c’est moi qu’il frappe et pas elle. Je m’en fiche de ce que l’on pense mais c’est lui qui m’a recueilli après la mort de maman. J’étais heureuse, il était aimant auparavant. Il ne peut pas changer ainsi, mon mari me reviendra, le seul homme qui m’a aimé de toute ma vie. C’est juste une mauvaise passe, il changera. Il me frappe mais l’amour qu’il porte en lui pour notre chérie me suffit amplement, il lui donne toute son attention, tout et tout. Et c’est tout ce qui me convient. »

-Juju, puis-je vous poser une question ? J’avais eu droit qu’à un hochement de tête, alors j’ai poursuivi avec cette question qui me tournait en boucle dans la tête : « Et s’il ne revient pas comme il était avant Juju.» Alors que je m’attendais à une réaction vive, elle me murmura doucement : « J’ai besoin de lui, j’ai besoin de son amour, j’ai besoin qu’il me protège comme avant, il doit revenir Docteur, il reviendra. »

-Votre fille ne sait pas qu’il vous frappe?

-Elle ne sait pas, elle ne peut savoir, ça la traumatiserait.  Elle verrait son père d’un autre œil, je ne veux pas de cela, ma fille a besoin aussi de son amour. C’est le minimum qu’il lui faut, l’amour de ses parents.

-Juju, vous ne pouvez pas accepter tout ça. C’est votre vie, vous….

« Je n’ai jamais senti l’amour d’un père, ma fille doit l’avoir. » M’interrompit-elle. Je ne peux pas lui priver de cela.

-Mais, pourquoi ne pas parler à votre mari. Pourquoi ne pas lui dire que vous ne voulez plus qu’il vous frappe?

-Ma mère a essayé, elle m’a laissé seule. Elle lui a tenu tête, par conséquent elle a rendu l’âme, je ne ferai pas la même chose à ma fille.

-Mais Juju, il y a les thérapies de couple, c’est votre mari tout de même, vous le connaissez, vous pouvez lui faire comprendre tout cela.

-Dr S’il vous plaît, je sais ce que je fais.

-Juju…

-Non Docteur, je ne peux pas.

-Réfléchissez, vous pouvez avoir une vie meilleure, vous et votre fille.

« Je ne peux pas le quitter. » Cria-t-elle pour la première fois.

-Ce n’est pas une question de séparation Juju, vous êtes assez jeune pour repenser les choses, vous avez une petite fille que vous aimez et qui vous aime, votre mari était gentil certainement quelque chose l’a changé. Rien ne t’empêche d’essayer, juste une fois, vous ne voulez plus sourire? Vous ne souhaitez pas revivre une soirée en famille? Les rires de votre mari ne vous manquent pas? Juju…

-Il faut que je m’en aille, mon mari ne sait pas que je suis là, il ne faut pas qu’il rentre avant moi. M’interrompit-elle en se levant sur le fauteuil, je me levai instantanément, ne sachant pas quoi lui dire, je restai figée en face d’elle. J’avais pourtant essayé de lui parler, je voulais lui faire voir les choses d’une autre manière mais sa détermination me bloquait. C’était lorsqu’elle se trouva sur le pas de la porte que j’ai réussi à articuler: « Juju, laissez-moi vous aider. »

C’est à ce moment-là que ses larmes reprirent leurs libres cours sur ses joues.  Je pouvais lire l’amertume dans ses yeux, elle était abattue, elle n’essayait pas de les retenir cette fois-ci, j’imagine que c’était la première fois qu’elle se vidait de ses problèmes. Sous mon regard perplexe, elle lança en ma direction : « Je suis désolée Docteur, je dois partir, j’ai fait ce qu’elle m’a demandé, mais je ne viendrai plus, je ne vis plus depuis longtemps, mais elle, elle grandit, elle connaîtra l’amour d’un père, il ne lui frappera jamais. Mariée, elle ne se fera pas taper puisqu’elle ne connaîtra jamais cette partie de la vie. Elle fera une belle jeune femme et elle vivra, elle se rappellera que ses parents l’ont aimé. Ma mère m’a aimé, elle est morte pour moi. Mon père ne m’a jamais voulu mais elle, elle a cette chance. Je ne reviendrai pas Docteur, Sabrina gardera sa promesse. Ma fille sera heureuse, je ne lui priverai pas de ce que je n’ai jamais eu, je ne pourrai pas.»

 

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Elle avait laissé sortir ces mots, ces mots qui me donnèrent la chair de poule, avant de laisser mon cabinet. Je n’avais pas pu l’aider, je n’avais pas pu changer sa vie. Elle n’est jamais revenue, je priais pour qu’elle change d’avis. J’avais fait appel à Sabrina pour lui demander de lui parler. Mais, c’était peine perdue. Juju était retourné chez elle, elle savait qu’elle allait être maltraitée, méprisée. Mais, seule sa fille comptait, son bonheur seulement la préoccupait. Elle n’avait jamais connu l’amour véritable. Sa chérie, elle, devait en profiter. C’était sa source de consolation, j’aurais dû la retenir ce jour-là pour l’expliquer que les choses pouvaient être différentes si elle le souhaitait réellement mais elle ne voulait qu’une chose: que sa fille soit comblée.

J’ai échoué à remplir cette mission, la plus grande mission de ma vie m’a filé sous les doigts. Je n’avais pas pu trouver le moyen d’aider cette femme qui réclamait au fond d’elle, qu’une chose: la délivrance. Je n’avais rien de plus qu’elle, nous sommes toutes les deux femmes.  Pourquoi je vivais et pas elle ? Pourquoi ma mère avait-elle subi de telles atrocités? Y-a-t-il réellement une justice dans ce bas monde ? Combien de femmes se sacrifient pour le bonheur de leurs petits ? Combien d’entre elles se sont révoltées ? Combien de Juju existe-il sur cette terre ?

Je ne demande qu’une prise de conscience, je réclame la justice pour toutes ses femmes meurtries, désespérées qui attendent désespérément un grain de bonheur.

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1 commentaire
  1. Mervil john Gerald Stanley dit

    Toutes mes félicitations!!
    Ce n’est pas l’histoire d’une personne en particulier, mais c’est l’histoire de certaines femmes dans le monde, cette femme est restée pour que sa fille puisse avoir la vie qu’elle n’a pas eue, derrière chacune de ses femmes il existe une raison qui est plus forte que leur souffrance.
    Merci pour ce texte, c’était à la fois captivant et triste .

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