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Adieu Innocence

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5h30 annonça Bob C à la radio. L’air était frais, le ciel n’offrait pas un nuage et l’odeur du pétrichor embaumait l’espace. De loin on entendait le vrombissement d’un moteur et la voix d’un homme fendait l’air en hélant : « Lavil ! Lavil ! »

La rue étant déserte à cette heure du matin, la petite fille n’eut aucun mal à monter et s’installa dans le fond, sur un banc vide, la tête collée à la fenêtre.

Les premiers rayons du soleil venaient chatouiller son visage à travers la vitre, elle se mit à regarder défiler le paysage en humant, malgré elle, les différentes odeurs de la ville; odeur de gaz, odeur de boue, odeur de poisson pas frais, odeur d’humains non douchés.

Ainsi, elle put détourner son attention de ce tonton bedonnant qui le fixait sans gêne depuis qu’elle est montée dans le bus. Embarrassée, elle tira sa jupe sur ses genoux et pensa à la remise de carnet.

 » Fais que je sois la première de la classe s’il-te-plait Jésus  » pria-t-elle secrètement. Avec une moyenne de 8, sa mère sera obligée de la laisser choisir l’école où elle ira faire ses classes du troisième cycle. C’était ce qu’elles avaient conclu.

Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua que tard Tonton Crasseux à présent installé à ses côtés et qui la fixait en souriant de toutes ses dents jaunâtres et cariées.

– Bonjour, ma jolie.

Son haleine puait, le jeûne matinal, le verre de trop et peut-être une pénurie de dentifrice.

– B… Bon… bonjour m’sieur bégaya-t-elle en évitant son regard.

Elle n’aimait pas la carrure de cet homme, gras, court sur patte. Elle n’aimait pas son air négligé et malpropre. Elle n’aimait pas ses doigts gros, boudinés avec des ongles crochus et sales. Et encore moins son regard avide qui s’attardait sur des zones spécifiques de son jeune corps pré pubère.

Il déposa brutalement une main sur sa cuisse droite et sourit en lui disant:

– Tu sembles bon timoun. Voyons voir si se vrai[1].

Le ton glacé et pervers pétrifia la jeune enfant.

Ses yeux s’écarquillèrent quand il glissa sa main sous sa jupe, sa belle jupe indigo, pour presser sa cuisse pubescente dans sa paume rêche, usée par les aléas de la vie.
Elle serra les cuisses. Faible résistance qu’il écarta avec sa paume fermée, pour atteindre sa petite culotte bleue 100% coton achetée chez Nouna, la voisine du palier.

Le brouhaha dans le bus, le début d’embouteillage dans la rue, la chaleur désormais atroce sous le soleil ressemblait au paradis pour la gamine qui se contorsionnait pour empêcher l’intrusion de l’inconnu pervers dans son intimité.

Elle voulut crier, mais son esprit était ailleurs, vagabondant entre maintes choses inutiles, plaisirs du passé, son carnet, sa maman.

Elle avait beau ouvert la bouche mais aucun son n’en sortit, elle réessaya à maintes reprises, toujours sans résultat.

Une main dans son dos poussa sa taille pour la faire glisser vers l’avant tandis que l’autre main plus aventurière, visitait sa chouchoune, cette chouchoune que seule maman ait vu, qu’elles seules avaient touché lors des bains quotidiens, livrée à cet inconnu. Elle se sentit écartelée quand quelque chose entra en elle et espéra que ce ne fut pas ses doigts dégueulasses.

– » Aidez-moi  » balbutia-t-elle sans qu’aucun son ne dépasse sa gorge.
Elle avait tellement peur que cela lui donna le tournis.

– » SVP, arrêtez! « 

Incapable de pleurer voire de bouger, elle resta figée, regardant droit devant elle.
Deux marchandes qui se dirigeaient vers le siège arrière la regardèrent d’un air plein de mépris en tchipant.

Une fois installées, elle les entendit murmurer:

– » Pa gen timoun ankò « 

– » Atò, sa la nan gason?  »

Son âme pleurait, elle voulut crier sa rage et son désespoir mais tout ce qu’elle réussit à faire c’est fermer les yeux et espérer que ça se termine bientôt.

Le gros doigt crasseux continua à fendre son intimité. Il le regarda et sourit.
– Tu es jolie

Son énorme main rêche prit la petite main frêle de la fille et la déposa sur la bosse au niveau de son pantalon.

– Regarde ce que tu me fais.

Il continua son horrible manège jusqu’à ce que le bus fasse son arrêt habituel près du Théâtre National.

– Oh! Je suis arrivé sursauta-t-il feignant la tristesse, il enleva son doigt, le passa sous son nez pour le renifler et l’essuya sur la bouche tremblante de l’enfant.

– Pleure pas ma jolie. On se reverra, murmura le gros lard à son oreille avant de descendre du bus avec désinvolture, sous l’œil réprobateur des deux commères.

Dès qu’elle ne l’aperçut plus, elle s’empressa de s’essuyer la bouche. Un petit filet rouge apparut dans le mouchoir.

Sang? Vagin?

Ma virginité !

Oh mon Dieu! Maman va me tuer éclata-t-elle en sanglots.
Aveuglée par les larmes, elle tremblait de honte et de rage. De honte surtout.

Pourquoi n’a-t-elle pas pu crier?

C’est de sa faute!

Pourquoi n’a-t-elle rien dit, rien fait?

Elle aurait dû crier.

Tout ça ne serait pas arrivé.

Ses larmes et ses soubresauts attirèrent l’attention du chauffeur qui s’empressa de venir voir ce qui se passait. Il retrouva la petite fille recroquevillée sur elle-même, la chemise transparente tant elle a transpiré, le regard fuyant et éteint, les lèvres tremblantes qui portait encore la marque de l’odieux crime.

– Ti cheri, sa w genyen?

– Viol. Fut son seul mot avant de s’évanouir.

***

Une heure plus tard, elle se réveilla sur un lit, dans une salle sentant un mélange entre l’odeur des désinfectants et celle des médicaments, avec, sur une chaise plastique à côté d’elle, sa mère qui pleurait en silence.

– Ariane…

Son premier réflexe fut de tirer les draps sur son corps à moitié nu, les yeux effarés.

– Ariane !

Elle remarqua son uniforme pliée et déposée sur le bureau.

Toujours l’air éteinte, elle répondit comme une automate aux questions de l’agent et de la docteure qui lui ont expliqué qu’elle n’est pas responsable de ce qui s’est passé, qu’elle ne devait pas avoir honte, que si elle n’avait pas pu bouger c’est parce que son cerveau était en état de choc et qu’à présent, elle devait maintenant participer à des séances de thérapie.

Elle était restée de marbre pendant toute la consultation. Mais la docteure n’était pas dupe, elle voyait bien son regard éteint, vide, apeuré et savait pertinemment que cette petite fille ne serait plus jamais la même.

Et dans la tête d’Ariane se jouait un air morbide de boîte à musique: « On se reverra ma jolie ».

***

Le viol, malheureusement à cette heure de grandes révolutions de pensées et de concept, reste encore un phénomène mal compris dans notre société. La victime reste et demeure toujours les femmes qui y sont vulnérables tant sur le plan sociétal que sur le plan physique. Ce texte est pour, comme parmi tant d’autres, pointer du doigt ces actes abominables perpétrés quelquefois en plein jour mais ignorés simplement parce que notre société ne protège pas assez les femmes.

 

 

 

Wood Loudie Alexandre

 

Wood Loudie Alexandre

 

 

[1] Tu as l’air d’une sainte. J’ai hâte de voir si c’est vraiment le cas.

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1 commentaire
  1. Roodjine Myrthil dit

    ❤?? félicitations Alexandre Wood-Lourdie, je vais pas dire que c’est au top, mais j’oserais dire que tu peux faire de la magie avec les mots, et je suis très fière de toi, tu peux même pas imaginer à quel point. Tu possèdes une taille de guêpe ?? mais t’as un cerveau de lionne ?

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